Titres de séjour : la fonctionnaire de préfecture ressort libre, son compagnon retourne en prison

access_time Publié le 10/04/2025.

Cinq prévenus étaient présentés devant le tribunal de Béziers en comparution immédiate ce 9 avril pour l’affaire des titres de séjour illicites. Une seule personne a écopé de prison ferme avec mandat de dépôt.

Il était question de la vie à la barre du tribunal de Béziers ce mercredi 9 avril où cinq justiciables – dont une fonctionnaire de la préfecture de Carcassonne – étaient prévenus d’avoir fourni illicitement des titres de séjour. Il était question de la vie donc. D’amour, de trahison, de gué-guerre des polices, de religion, de corruption, d’incompétence professionnelle, d’histoires de famille, de prises de bec et… d’argent bien sûr. Tous les éléments d’un roman noir. Un long roman noir puisque l’audience s’est étirée sur douze interminables heures. Pour s’achever à 2 heures du matin.

Mais d’abord les faits. Cinq prévenus sont présentés en comparution immédiate poursuivis des chefs de corruption passive, d’aide au séjour irrégulier en bande organisée et fourniture frauduleuse de documents administratifs par une personne chargée d’une mission de service public entre 2022 et 2023.

Sur l’Hérault, l’Aude et au-delà

En résumé, Julie C., fonctionnaire qui officiait en sous-préfecture de Béziers au moment des faits, est accusée d’avoir utilisé un process exceptionnel d’attribution de titres de séjour réservé à la discrétion du sous-préfet ou du préfet. Parmi les quatre autres prévenus : son compagnon, Mohamed K., jugé pour lui avoir apporté les dossiers de candidats au titre de séjour. Hamid A., ami d’enfance et associé du conjoint dans un garage automobile, prévenu également d’avoir donné, dans un volume moindre, des noms afin de leur obtenir le précieux document administratif. Aziz K., oncle de Mohamed K. qui aurait servi d’intermédiaire. Et enfin, Aziz C., prévenu quelque peu annexe : il rencontre Julie C., apprend qu’elle travaille à la sous-préfecture et passe par son intermédiaire pour obtenir un titre de séjour pour quatre personnes. Au total, 41 « bénéficiaires » ont été identifiés, sur l’Hérault et l’Aude mais aussi bien au-delà des frontières régionales.  33 ont pu être entendus. Dix ont reconnu avoir versé de l’argent. 

Des demandes en nullité rejetées

À l’audience, les premières pages s’ouvrent sur des demandes en nullité soulevées pour des questions de « probité de l’instruction ». Les cinq avocats de la défense s’interrogeant de concert sur les échanges d’informations entre les différents services d’enquête, le parquet et les services préfectoraux. L’affaire ayant éclaté au grand jour à la faveur d’écoutes menées dans le cadre d’une enquête de stupéfiants à Toulouse pour finir entre les mains de l’Office central de lutte contre le trafic illicite de migrants. Une saisine remise en cause et des questions de nullité qui auront provoqué une colère froide du procureur de la République. Raphaël Balland évoquera : « des propos inacceptables. Si ma probité est mise en cause, saisissez les autorités compétentes. » Et de conclure amèrement : « Je préfère être le grand naïf que le pourri. » Froid dans la salle.

32 ans, fébrile, Julie C. se présente à la barre

Le long chapitre de l’audience commence lorsque Julie C. se présente la barre. Fébrile mère de famille de 32 ans. Elle répondra aux questions en affirmant avoir agi « pour aider les gens ». La présidente Estelle Devoto reviendra sur son parcours : un premier mari violent, « une rencontre avec Mohamed K. sur un site internet en mai 2022″, quelques semaines avant que les premiers dossiers frauduleux arrivent en sous-préfecture de Béziers. « C’est lui qui m’apporte le nom des personnes que je devais recevoir », explique la fonctionnaire. Et de détailler, le mode opératoire : le jour du rendez-vous venu, Julie C. ajoute à la main les noms convenus sur les listings de la préfecture des personnes convoquées pour déposer leur dossier. Elle les reçoit ensuite et enregistre la demande grâce à un code spécifique, qui permettra en plus un renouvellement aisé du document. Le chef de bureau valide ces dossiers du haut de son « incompétence », soulignée tout au long de l’audience et par toutes les parties. Son absence à l’audience interrogera d’ailleurs beaucoup la défense. Son rôle, même passif, semblant déterminant. « J’ai très vite compris, dès mon arrivée à la sous-préfecture de Béziers. Tout le monde savait qu’il était incompétent, expliquera la prévenue. Quand mon compagnon m’a demandé d’aider des personnes, je savais que je pouvais le faire parce qu’il ne vérifierait pas. »

« Pour lui faire plaisir. Par amour »

Quand la présidente demande à Julie C. pourquoi elle accepte de telles sollicitations. « Pour lui faire plaisir. Par amour », répond la prévenue. Et l’argent ? Julie C. affirme n’en avoir jamais touché pour ses forfaitures. Et l’avoir fait selon ses critères, pour venir en aide à des gens qui « voulaient s’insérer, travailler et avoir une vie meilleure en France ». Son compagnon percevait de l’argent ? Là non plus, elle ne savait pas, déclare-telle. Sauf pour un cas où en sanglots et face aux questions du procureur, elle reconnaîtra qu’elle savait qu’on avait proposé de l’argent à Mohamed K. Sur un seul dossier. Celui qui fera d’ailleurs tomber le trafic. Elle affirme avoir compris l’ampleur de la tromperie en garde à vue.

Des sommes d’argent qui varient

S’il reviendra sur ses propos à la barre, Mohamed K. a reconnu en garde à vue avoir perçu 55 000 €. Alors que, sur la même période, il demandera (et obtiendra) 20 000 € à sa compagne Julie C. pour acheter un garage automobile. Nous sommes en juillet 2023 et dans le même temps, il prête 7 500 € « à un ami qui devait partir en vacances ». Interrogé lors de l’audience, il présentera des versions peu compatibles, pour ne pas dire contradictoires. Pour au final, après avoir été confronté aux écoutes téléphoniques, reconnaître entre 25 000 € et 30 000 € d’argent perçu au total. Loin des sommes avancées par le parquet, sur la base des différentes déclarations des « bénéficiaires » et des écoutes, estimées à au moins 180 000 €

Aucun avenir

Sur un point, il maintiendra la même version tout au long de l’enquête et de l’audience : « Julie n’a jamais touché d’argent. Ce n’est pas sa nature. Elle n’est pas là-dedans. » Un peu plus tôt, cette dernière avait dû admettre en répondant aux questions de son avocat : « Oui, je me sens trahie. Il m’a peut-être choisie pour le poste que j’occupais. » Et à la question de la présidente : « Quel avenir envisagez-vous avec Mohamed K. ? « . Réponse : « Aucun ».

Dans sa prise de réquisition et en évoquant les montants perçus par les prévenus et les déclarations du compagnon de Julie C., le procureur de la République préviendra : « Je m’en tiens à ce qui a été dit en garde à vue. Parce que ce qu’on nous a dit aujourd’hui, ce sont des gros mensonges. » S’adressant à la fonctionnaire : « On ne peut pas intentionnellement violer les règles. On vous a fait confiance. L’État ne peut plus vous faire confiance. » Et de demander 5 ans de prison assortis d’un sursis pour moitié et l’interdiction à titre définitif d’exercer toute fonction publique. Pour Mohamed K., 5 ans de prison, sans sursis.

Me Font déroulera toute sa plaidoirie avec un objectif : que Julie C., sa cliente, ne reparte pas en détention où elle est dort depuis cinq nuits. Il sortira la carte de l’émotion. Elle fera son petit effet dans a salle : « Elle a trouvé avec Mohamed K. une écoute, une oreille et progressivement, on l’a amenée à se détourner de son éthique. C’est sa rencontre avec lui qui fera sauter le verrou. C’est une erreur de parcours qui lui coûtera cher mais qui ne doit pas lui coûter sa liberté. »

Il est près de 2 h du matin quand le tribunal vient annoncer son délibéré. Après une audience fleuve, rigoureusement menée par la présidente Devoto, les nullités sont rejetées. Le prévenu « isolé » Aziz C. est reconnu coupable d’aide au séjour irrégulier et condamné à 18 mois avec sursis et 1 000 € d’amende. Pour les quatre autres prévenus, la circonstance aggravante de bande organisée est retenue. Pour l’oncle et l’associé du concubin, ils sont relaxés du chef de corruption active mais condamnés pour l’aide au séjour irrégulier. Tous deux ont été condamnés à 18 mois d’emprisonnement dont 12 mois avec sursis. Le parquet avait requis des peines d’emprisonnement plus lourdes à leur encontre avec maintien en détention. L’associé du concubin s’est vu confisquer la somme de 17 130 € qui avaient été saisie en perquisition. Julie C. écopera de 3 ans dont 1 an ferme sans mandat de dépôt et interdiction définitive d’exercer dans la fonction publique, elle repartira donc libre.

Mohamed K. a été reconnu coupable des délits de corruption active, aide au séjour irrégulier et blanchiment. Le tribunal l’a condamné à une peine de 3 ans d’emprisonnement dont 1 an avec sursis et a ordonné son maintien en détention.

Compte-rendu d’audience,
Arnaud Gauthier

Photo : une audience fleuve devant le tribunal de Béziers ce mercredi 9 avril. ©T.O.

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