A l’occasion de la promotion de son livre La Commode aux tiroirs de couleurs, Olivia Ruiz nous a accordé un entretien au cours duquel elle s’est confiée sur de nombreux sujets. Rencontre avec une artiste empreinte de sensibilité et de sincérité.
Olivia Ruiz sera demain à Narbonne-Plage dans le cadre de l’événement Le Camion qui Livre. Sur les terrasses de la mer, elle viendra y dédicacer son dernier roman La Commode aux tiroirs de couleurs. Une œuvre dans laquelle l’artiste s’inspire du parcours de ses aïeux espagnols, ayant immigré en France à l’issue de la guerre civile.
Olivia Ruiz, c’est déjà votre 3e publication, qu’est-ce qui vous a poussé à aborder ce thème-là et pourquoi aujourd’hui ?
Et bien, je pense qu’il suffit de regarder un peu ce qu’il se passe autour de nous. Je crois qu’on peut faire un parallèle avec l’actualité, notamment la jungle de Calais. Voir comment sont traités tous ces migrants déracinés. Je pense que tout ça ce sont des souffrances et frustrations qui ne seront jamais réellement soignées. Ils ne faut pas oublier que les Espagnols aussi à l’époque ont été accueillis dans des camps notamment à Argelès-sur-Mer ou à Rivesaltes.
Je crois que parler de tout ça a une fonction thérapeutique, notamment pour moi. C’est aussi une manière de vider son sac et de réconcilier le passé et le présent. De dire que si nous avons des racines espagnoles, aujourd’hui nous sommes aussi ici chez nous.
Rita, votre aïeule dans le bouquin, est un personnage elle aussi complexe, qu’on découvre au fur et à mesure de l’ouverture de ces fameux tiroirs.
C’est un personnage très protecteur mais elle n’est pas forcément très maternelle. Ou en tout cas elle l’est à sa façon. Elle est dans l’affection mais pas dans la démonstration. C’est une forme de pudeur qui je pense est générationnelle. Par exemple, mes parents sont très tactiles contrairement à mes grands-parents.
Concernant Rita, sans trop spoiler, elle incarne la figure de la prostituée qui va droit au cœur des choses. Dans la vie en général, il y a ce qu’on fait et ce qu’on transmet, et Rita incarne bien cela.
Vous êtes à la fois chanteuse, actrice et écrivaine. C’est important pour vous cette liberté d’expression dans tant de domaines différents ?
La sensation de liberté, je pense que c’est véritablement un leurre. On est tous prisonniers de tas de choses. J’éprouve toujours autant de plaisir à chanter, danser, écrire ou jouer. J’y trouve mon confort et cette sensation de liberté qui me plaît. Même si au final beaucoup de choses font que nous sommes tous prisonniers qu’on le veuille ou non, qu’on en ait conscience ou non, que ce soit physique ou psychologique.
La famille semble être une vraie source d’inspiration pour vous, dans beaucoup de vos œuvres ce thème-là revient fréquemment.
La thématique qui traite du lien familial a toujours quelque chose de très inspirant. Le rapport à la famille peut également être très ambivalent. Comme disait Jodorowsky : « la famille, ce poison ». Il peut parfois être nécessaire de s’en affranchir et de s’en couper. Même si la famille ça reste évidemment sacrée, le rapport qu’on entretient avec elle peut parfois être paradoxal. Mais elle constitue en effet un socle de réflexion et d’inspiration certain.
Nous sommes dans un contexte compliqué notamment pour les artistes avec la mise en place du pass sanitaire, que vous évoque cette situation ? Est-ce une période propice à la création pour vous ?
Alors pour moi pas du tout. Personnellement, le covid ça m’effraie. On a vu des choses horribles. On essaie de continuer à vivre le plus normalement possible mais c’est difficile. Ce vaccin aussi me fait peur. Même si je me suis faite vaccinée avant-hier*, c’est quand même angoissant tout ce qu’il se passe.
Je recommence à jeter des premières notes pour mon prochain disque mais c’est difficile. Beaucoup de questions là aussi se posent. Cela va faire trois fois que l’on reporte le spectacle, avec les investissements personnels qui sont les nôtres en matière d’énergie mais aussi d’un point de vue financier. Savoir si l’on peut jouer, puis aussi plus égoïstement savoir quel sera le plaisir de jouer devant des gens masqués ?
Vous semblez particulièrement sensible voire touchée par tout ça.
Je crois que c’est dans ma nature. Flaubert a écrit : « ce qui effleure les autres me déchire ». Puis c’est difficile de ne pas se sentir concernée. On a peur pour nos familles, pour nous, pour les autres. Tout en continuant à vivre avec beaucoup d’incertitudes.
Par exemple, la dernière fois lors d’une séance de dédicaces, une personne m’a prise dans ses bras et s’est mise à verser quelques larmes. Vu que je suis une éponge, j’en ai fait autant. Mais c’était un beau moment de partage.
On a l’impression que tout le monde vous adore, en particulier ici sur vos terres, comment expliquez-vous que vous fassiez tant l’unanimité ?
Oh détrompez-vous ! Evidemment, la plupart du temps les retours sont très positifs, mais il arrive aussi parfois de croiser des personnes moins diplomates (rires). Par exemple, un monsieur qui est venu me voir sérieusement pour me dire que les livres lui il s’en fichait, et qu’il attendait surtout très impatiemment la sortie d’un prochain disque. Il y a également ce genre de moments, mais c’est quand même beaucoup plus rare heureusement (rires) !
*Interview réalisée le 31 juillet.