Dans le quartier de la Parerie à Narbonne, il existe une petite artère : rue du Vengeur.
On peut se poser la question de savoir qui est ce fameux vengeur mystérieux qui a droit à une plaque. En fait, l’histoire est bien différente et presque inattendue. Elle fait partie de ces rues dont le nom interpelle forcément. Cette petite artère située entre la rue d’Aigues-Vive et celle de la Parerie à Narbonne s’appelle la rue du Vengeur.
Un héros des temps modernes ? Un vengeur masqué ayant marqué l’histoire de Narbonne ? Beaucoup de Narbonnais ont dû se poser la question. Et au final, comme on dit, la vérité est ailleurs. Le fameux vengeur n’est pas un homme mais un navire et son vrai nom est le Vengeur du Peuple.
Nous sommes au milieu du XVIIIe siècle et l’empire colonial français est menacé par la Royal Navy. Les batailles ont causé la perte d’une trentaine de bateaux et donc mis à mal la flotte française. Un sursaut patriotique est réclamé afin de repeupler le contingent de navires et d’envisager une revanche face à l’ennemi anglais.
Avec l’appui des villes et des provinces, la Marine royale va s’enrichir d’une quinzaine de vaisseaux. Parmi eux : le Marseillois construit grâce à la Chambre de Commerce de Marseille. Un bateau solide, fort de 74 canons, de 80 tonnes de cordages et de près de 2 500 m2 de voiles.
La Guerre d’Amérique d’abord
Le Marseillois va participer à la guerre d’Amérique (1778-1783), considérée comme un conflit mené en guise de revanche française sur les défaites subies contre la Royal Navy au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1763). Au large des côtes américaines, le Marseillois doit affronter le HMS Preston, un vaisseau britannique de 50 canons.
Il participe ensuite à la victoire française lors de la bataille de la Grenade, le 6 juillet 1779 contre la flotte britannique de Byron. Un retour à Brest pour quelques réparations est c’est le départ pour les Antilles en 1781 où il escorte un immense convoi. Après avoir participé au lever du blocus de la Martinique, le Marseillois, commandé par le marquis de Castellane-Majastre, se mesure au HMS Intrepid, un vaisseau de 64 canons.
La victoire française est suivie d’une défaite au large des Saintes, le 12 avril 1782. Le vaisseau « marseillais » n’y participe que du bout des lèvres, si l’on peut dire, ce qui lui permet de rentrer à Brest en compagnie des rescapés de la bataille.
Rebaptisé en 1794
Au début de l’année 1794, le Marseillois est rebaptisé le Vengeur-du-Peuple et il troque au passage son pavillon blanc, symbole de la monarchie, contre pour un tricolore. C’est donc sous ce nouveau nom qu’il va devenir célèbre en participant à la terrible bataille du 13 Prairial an II (le 1er juin 1794) qui met aux prises la flotte française de l’amiral Villaret de Joyeuse à celle britannique de Howe.
Le Vengeur-du-Peuple y mène un combat rapproché au canon et au fusil dans un bord à bord avec le navire anglais HMS Brunswick. Les Britanniques perdent 159 hommes sur un équipage de 600 engagés. De son côté, le Vengeur-du-Peuple déplore la perte de deux de ses mâts, mais surtout la mise hors de combat du tiers de son équipage.
Le commandant du navire français doit se résoudre à hisser le pavillon britannique en guise de reddition alors que son bateau, rudement touché dans la bataille, se met à sombrer doucement. Les survivants sont recueillis en prisonniers par la flotte britannique.
Propagande révolutionnaire
En France, cette défaite militaire retentissante va être carrément transformée en succès moral par la propagande révolutionnaire. A la Convention, on fait croire que le Vengeur-du-Peuple a refusé de se rendre et que les marins ont tous péri en chantant la Marseillaise à la gloire de la patrie et de la République.
Cette réécriture de l’histoire a été quelque peu mise à mal au retour sur le sol français… des prisonniers. La légende du bateau et de ses marins n’en a pas pour autant été écornée. Ce qui explique qu’une rue narbonnaise porte encore le nom du Vengeur. Remerciements à Robert Jansana.
Jules Verne aussi
Dans son roman « Vingt mille lieues sous les mers », Jules Vernes lui-même, met le naufrage du Vengeur-du-Peuple en scène. Il fait dire les mots suivants au célèbre capitaine Nemo : « Ce navire, après un combat héroïque, démâté de ses trois mâts, l’eau dans ses soutes, le tiers de son équipage hors de combat, aima mieux s’engloutir avec ses trois cent cinquante-six marins que de se rendre, et clouant son pavillon à sa poupe, il disparut sous les flots au cri de : Vive la République ! ».