Occitanie : la vigne connectée, antisèche contre la sécheresse ?

access_time Publié le 23/09/2024.

Thibaut Scholasch, cofondateur de Fruition sciences © Cyril Durand / Hérault Tribune. (2).heic

L’entreprise montpelliéraine Fruition sciences propose une solution innovante pour lutter contre la sécheresse des vignes : des capteurs pour prendre leur pouls et leur apporter une irrigation ciblée.  Un vignoble de l’Aude, Château Camplazens, utilise avec succès la recette dans le massif de la Clape.

L’entreprise montpelliéraine Fruition sciences propose une solution innovante pour améliorer la qualité du vignoble en quantifiant le déficit hydrique de la vigne. Comment ? En plaçant des capteurs directement sur la souche, pour mesurer l’état hydrique de la plante grâce au flux de sève. Ces données, transmises par liaison sans fil à un serveur, sont ensuite combinées à d’autres pour être interprétées. Et agir ensuite en conséquence. 

L’objectif est de permettre une irrigation et un traitement raisonné, économe et efficace, pour travailler sur la résilience de la vigne face au changement climatique. « Cela revient essentiellement à réduire les interventions à celles qui sont strictement nécessaires », assure Thibault Scholasch, cofondateur avec Sébastien Payen de Fruition sciences , créée en 2009 conjointement à Montpellier et en Californie, dans la vallée de Napa. « Il faut empêcher de donner des apports qui ne sont pas justifiés », poursuit-il.

« On peut distinguer l’origine de la sécheresse »

Pour l’apport en eau, arroser au bon moment, dans la quantité suffisante, permet à la plante « de développer un système racinaire plus profond. Et un système racinaire plus profond, c’est un système racinaire qui est plus résilient, moins sensible aux sécheresses ou aux canicules temporaires », selon cet expert dans le contrôle des effets des stress environnementaux sur la physiologie de la vigne. « Il y a une grande confusion entre les symptômes visuels lorsqu’il y a une canicule, c’est à dire pas forcément une sécheresse au niveau du sol mais dans l’air, et non pas les symptômes liés à un manque d’eau dans les racines”, explique-t-il.

« Plus on irrigue,  plus la plante a besoin d’eau : c’est ce que j’appelle l’effet junkie

Thibaut Scholash

Ainsi, en prenant le pouls de la plante grâce aux capteurs, « on peut vraiment distinguer l’origine de la sécheresse. Et la conclusion, c’est qu’à chaque fois, on se trompe : on pense qu’en apportant de l’eau au sol on va aider la vigne. Du coup, en tant qu’expert de l’irrigation, nous passons notre temps à dire aux vignobles qu’ils  peuvent irriguer moins que ce qu’ils pensent, voire même pas du tout… En irriguant moins, les vignobles augmentent leur capacité de résistance à la sécheresse et aux vagues de chaleur, et donc les vignes réduisent le risque de dessèchement du fruit avant vendange. En gros,  plus on irrigue,  plus la plante a besoin d’eau : c’est ce que j’appelle l’effet junkie« , assure Thibaut Scholasch.

Et cette philosophie, toujours selon lui, « s’adapte et se décline à la fertilisation, au travail du sol, à la gestion de la hauteur de la canopée. Il y a plein d’autres opérations qui peuvent aussi être questionnées et être réduites à l’essentiel ».

Le vignoble français réticent aux nouvelles technologies ?

Les résultats semblent probants puisque de nombreux vignobles dans une dizaine de pays à travers le monde ont adopté cette solution depuis plusieurs années, que ce soit dans les terres arides d’Israël ou la plaine argentine de Mendoza. « Nous observons, qu’en général, avec notre solution, c’est entre 50 et 60% d’eau économisée par rapport à ce qui se fait traditionnellement et, sur le plan énergétique, c’est 30 % d’énergie en moins normalement utilisé pour déplacer l’eau. »

L’entreprise dégage un chiffre d’affaires annuel variant entre 1,5 million et 2 millions d’euros et embauche onze personnes à temps plein sur son site montpelliérain et quatre autres sur celui de Napa, en Californie. Seul point noir à son tableau de chasse aux clients : les viticulteurs français semblent réticents à utiliser cette technologie.

« J’ai besoin de savoir à quel moment arroser »

« En Californie, les problèmes liés à la sécheresse sont arrivés dix ans plus tôt qu’ici. De plus, ils ont une appétence plus forte pour les nouvelles technologies, parce que c’est un vignoble qui se cherche encore », analyse le chercheur en tentant d’expliquer les raisons du manque de ferveur pour son produit sur le sol hexagonal. Mais le conservatisme supposé des viticulteurs français est en train de plier sous le poids de divers paramètres allant de la baisse des ventes sur un marché morose au changement climatique et à la diminution des réserves d’eau. “Les vignobles se retrouvent dans des situations inédites, il est donc de plus en plus difficile de se fier à l’expérience passée parce qu’on est en train d’affronter des situations nouvelles”, estime Thibaut Scholasch.

Le vignoble du Château Camplazens, dans l’Aude, a adopté cette solution en 2013 et il s’en félicite. Il fait partie des quelques clients français de Fruition sciences. “J’avais besoin d’avoir de la donnée plus régulière que celle que j’avais jusqu’à présent, explique Yann Claustre, le régisseur du domaine. Quand je suis arrivé ici, il y avait des habitudes, on arrosait parce qu’il fallait mettre de l’eau… Mais ce n’était pas forcément en adéquation avec les besoins de la vigne et puis, surtout, avec les résultats organoleptiques des produits.” L’oenologue a repensé le système d’irrigation à son arrivée dans ce vignoble de 50 hectares, situé à 135 m d’altitude sur le massif de la Clape, en 2004.

« J’ai accès à 2 000 m3 d’eau par an pour l’irrigation grâce à un forage, c’est peu. Donc, cette eau, très précieuse, il faut que je puisse la mettre au bon moment. J’ai besoin de savoir à quel moment le mettre, détaille Yann Claustre pour expliquer son choix de faire appel à Frutition sciences. C’est comme aller à la chasse avec une seule cartouche. » Il en conclut qu’il est préférable d’arroser à titre préventif, « pour que la vigne ait un développement végétatif pour faire fonctionner l’usine à sucre avec un niveau de feuillage suffisant afin de produire des raisons de la qualité dont j’ai besoin ».

La solution proposée par Fruition sciences lui revient à « environ 5 000 € par an ». Au prix de l’hectolitre (entre 200 € à 800 € l’hectolitre à Château Camplazens), « c’est une charge mais l’affaire est attendue » – sachant que le château produit environ 30 hectolitres par hectare. Il vend 70 % de sa production en France pour un chiffre d’affaires d’un million d’euros en 2023. « Le vin est souvent meilleur, plus expressif quand on n’irrigue pas et on augmente leur capacité de résistance à la sécheresse et aux vagues de chaleur. Quand il est observé, le dessèchement augmente le degré alcoolique et fait chuter les rendements », conclut Thibaut Scholasch. Reste à savoir s’il arrivera à séduire les viticulteurs français avec sa solution comme il a convaincu celui de la Clape.

Cyril Durand

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