Ludovic Roux : « L’agriculture audoise est familiale, c’est ce qui fait sa force et sa faiblesse »

access_time Publié le 11/03/2025.

Le nouveau président de la Chambre d’agriculture de l’Aude livre son constat et ses priorités pour le monde agricole audois.

La liste FDSEA et Jeunes agriculteurs que vous meniez est arrivée en tête des dernières élections à la Chambre d’agriculture dont vous êtes désormais le président, quelle est votre réaction à ces élections ?

D’abord, on est soulagé d’avoir une participation en hausse. Même si ce n’est pas de beaucoup. C’est un soulagement parce que ça permet d’avoir une légitimité quand on s’exprime. Et là, je parle du monde agricole en général : c’est important de montrer aux pouvoirs publics, aux élus, à tout le monde que le monde agricole s’intéresse à ces élections et donc qu’elles sont légitimes.

La domination de la FDSEA a quand même été bousculée lors de ce scrutin ?

Après une campagne où on a présenté notre programme sans jamais attaquer les autres, on est conforté dans nos idées. Après, on souhaite toujours faire mieux, mais on est quasiment à un agriculteur sur deux qui a voté pour nous. C’est quand même une belle victoire. Je pense qu’il y a beaucoup d’élus politiques qui aimeraient avoir la même.

« Les discours simples et radicaux plaisent de plus en plus »

Ludovic Roux

Dans l’Aude, comme partout en France, la Coordination rurale prend de plus en plus d’ampleur…

Que la Coordination rurale fasse 30% et donc 10 points de plus que la fois précédente, c’est notable. Il faut en tenir compte. On l’analyse en disant qu’il y a un ras le bol d’une partie grandissante de nos agriculteurs à cause de la situation économique et donc sociale parce que, malheureusement, on a des drames sociaux. Et donc, les discours un peu simples, radicaux, ce sont des discours qui plaisent de plus en plus. Nous, bien sûr, on essaie de trouver des solutions. C’est quand on est aux affaires qu’on trouve des solutions. Un tiers de notre liste, dont moi, siégeait déjà à la Chambre. On est aux manettes. On travaille, on cherche des solutions. Moi par exemple, je suis aussi président de cave. Donc, je sais très bien que ce n’est pas juste en disant « je ne suis pas d’accord », « je veux ça », que les choses peuvent s’améliorer. On sait très bien que c’est plus complexe, qu’il faut trouver des solutions.

Il faut argumenter, il faut faire du lobbying, il faut faire des manifestations. Alors nous, dans l’Aude, je pense qu’on a déjà démontré qu’on était capable de faire des manifestations. Des fois, même peut-être trop fortes. Mais ça ne suffit pas, il faut aussi construire à côté. Et quand il y a des gens qui sont dans la difficulté et qui voient les aberrations, parce qu’il y a des aberrations dans le monde politique et économique actuel, et bien, du coup, il y a un vote de rejet. Ce qu’on peut comprendre. Moi, je vais vous dire que ce vote est trop élevé. Mais si on le compare à ce qui s’est passé partout en France, je pense que c’est quand même limité. Mais on ne peut pas ne pas en tenir compte.

Vous venez de dire qu’il faut être aux manettes. Vous avez, vous, plusieurs mandats de représentant syndical, dans diverses instances. Est-ce que c’est devenu une obligation ? Cette « professionnalisation » du syndicalisme ?

J’ai le droit de faire une réponse à la normande ? J’ai envie de dire oui et non. Avoir une vision la plus large possible, c’est certain que c’est très bien. Après, dans un monde idéal, si je pouvais lâcher une ou deux présidences, je ne serais pas contre. Ça voudrait dire qu’il y a plus de monde impliqué et qu’on peut mieux se répartir les tâches.

Le problème, c’est qu’il y a aussi un manque de vocation pour s’investir dans le collectif. Le collectif attire moins qu’avant. Parce que le temps que l’on passe à gérer un collectif, on ne le passe pas à gérer ses propres affaires. Encore une fois, c’est sûr que pour gérer, que ce soit une Chambre d’agriculture, un syndicat ou une coopérative, il faut quand même avoir une vision assez large de ce qui se passe. Mais bon, ce serait souhaitable qu’on ne soit pas obligé de cumuler plusieurs présidences. D’ailleurs, je vais en lâcher pour rééquilibrer les choses, mais si ça ne tenait qu’à moi, j’en aurais laissé encore plus.

« Le mot qui résume toute notre pensée : rentabilité »

Ludovic Roux

Vous avez axé votre campagne sur la question de la rentabilité, cela va être la priorité de votre mandat ?

Le mot qui résume toute notre pensée, c’est effectivement le mot rentabilité. Le monde agricole de notre département, dans sa grande majorité, malheureusement, n’est plus rentable. Alors, les raisons sont multiples mais le changement climatique y est pour beaucoup. Si on prend la viticulture, une grosse partie des Corbières et même un peu du Minervois, en quatre ans, il y a eu trois aléas climatiques ! Dans l’Ouest, le changement climatique fait que les conditions qui étaient très favorables pour le blé dur, ne le sont plus autant… au profit de départements plus au Nord. Les contrats se signent moins chez nous, puisqu’il est moins rentable. Sur le marché de la viande, qui se porte plutôt bien, on a des soucis de maladies, de pertes de cheptel et des problèmes d’eau.

Justement, l’irrigation, c’est une question essentielle pour l’avenir ?

On alerte sur la question depuis des années. Et ce n’est pas pour dire qu’on veut irriguer la vigne pour faire plus de rendement. Non, surtout pas. C’est qu’on doit déjà sauver des vignobles qui sont en train de mourir à cause de la sécheresse. Pour l’élevage, on a tellement peu d’eau que l’on n’en a pas assez pour abreuver les animaux. Même pour les moutons, qui boivent pourtant beaucoup moins que les vaches, on n’arrive pas à abreuver correctement. Donc, on va avoir des problèmes de gestion de l’eau.

« La Chambre ne vendra pas une bouteille de vin »

Ludovic Roux

Quel levier peut actionner la Chambre d’agriculture pour trouver des solutions à cette difficulté ?

La Chambre a un rôle particulier parce qu’elle a les compétences techniques et elle a la légitimité politique pour porter des dossiers. Mais, elle n’a pas la surface financière pour investir elle-même. Donc, il faut qu’on arrive à convaincre d’abord les pouvoirs publics, par exemple sur l’eau, qu’il faut changer des règles, en assouplir certaines pour pouvoir avoir des projets. Parce que là, il y a trop longtemps qu’il n’y a pas eu de projet. C’est un rôle de lobbying. Et une fois qu’on a obtenu la possibilité de faire des projets au niveau réglementaire, il faut animer, mettre en place des systèmes pour qu’on puisse avoir des investissements.

Quel type d’investissements sont à privilégier selon vous ?

C’est varié. cela peut être des groupes d’agriculteurs, des groupes d’agriculteurs adossés à des coopératives ou à des collectivités locales. On crée aussi maintenant des Cic, des coopératives d’intérêt collectif où on peut avoir des collectivités locales, des mairies, des agglos, des collectifs d’agriculteurs qui investissent ensemble. La Chambre, elle est là pour défendre, accompagner l’agriculture. Mais après, elle n’a pas les fonds nécessaires pour investir elle-même. Je le dis souvent : « La Chambre ne vendra pas une bouteille de vin ». On va aider par la recherche, le développement, le politique, le lobbying à trouver les cépages les plus tolérants possibles, les plus adaptés. On va accompagner le monde économique viticole à produire ce qui se vend.

Vous pariez donc sur le collectif ?

C’est la force de notre agriculture dans l’Aude : elle est à taille familiale. Elle est organisée. On n’a pas un gros groupe capable d’arriver et de mettre un milliard d’euros sur la table. Ça n’existe pas chez nous. Donc, il y a un travail à faire pour regrouper des gens qui, ensemble, peuvent mettre suffisamment d’euros pour avancer. C’est en fait ce qui fait la force et la faiblesse de notre agriculture. Moi, je ne souhaite surtout pas que ça change. Je n’ai pas envie qu’on travaille pour des fonds de pension. Par contre, ça demande une organisation et une mutualisation plus complexe.

« La Chambre de l’agriculture, c’est la voix du monde agricole »

Ludovic Roux

Votre mission va donc aussi consister à être dans le rôle de lobbying pour convaincre ?

La Chambre de l’agriculture, c’est la voix du monde agricole. On est là pour expliquer à toutes les parties prenantes, quels sont les intérêts du monde agricole, comment on pourrait arriver à quelque chose de mieux.

On a bien d’autres missions mais je pense que nous, en tant qu’élus, ce qui compte, c’est surtout cela. Comment on représente le monde agricole et comment on l’accompagne, on l’aide à aller vers de l’amélioration pour arriver à une rentabilité. Parce qu’après, tout le reste, ça en découlera. On parle beaucoup d’installation, de renouvellement des générations. Je suis d’accord, c’est une priorité. OK, mais elle arrivera d’abord par la rentabilité. Notre mission première là où il faut mettre toute notre énergie, c’est retrouver de la rentabilité, filière par filière, territoire par territoire.

Parce que la filière que je connais le mieux, la viticulture, j’ai des copains qui gagnent très bien leur vie. Ils sont dans le département de l’Aude. Simplement, ils sont sur un modèle et un territoire qui leur permettent de le faire. Sur d’autres territoires, les gens sont à l’agonie et arrachent. On voit bien que même dans la même filière, suivant les territoires, suivant les entreprises, il peut y avoir des différences énormes. Notre rôle, c’est de ramener de la rentabilité partout. Et à partir de là, une fois qu’on aura de la rentabilité, mettre en place des systèmes qui permettent de renouveler les générations, de s’adapter, etc.

Photo : Ludovic Roux, président de la Chambre d’agriculture. ©DR

Propos recueillis par Arnaud Gauthier

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