La caméra de l’Audois Yves Jeuland raconte « la destinée de Zelensky »

access_time Publié le 25/02/2025.

Réalisateur de documentaires à la belle notoriété, le Carcassonnais Yves Jeuland a filmé l’Ukraine en guerre et son président Zelensky. Un film à voir prochainement sur Arte.

Trois ans tout juste après le début de la guerre en Ukraine. Yves Jeuland est de retour dans son Carcassonne natal. Il y revient fréquemment et les salutations amicales qui interrompent sa déambulation sur la place Carnot témoignent qu’il y possède toujours de fortes racines. Auteur de films qui ont marqué leur époque, Le Président (avec Georges Frêche) ou Un temps de président (avec François Hollande), Yves Jeuland travaille actuellement avec la journaliste du Monde Ariane Chemin sur un documentaire retraçant le parcours de Volodymyr Zelensky. Entretien.

Nous sommes ici en plein cœur de Carcassonne. Quels sont les liens que vous entretenez aujourd’hui avec cette ville et avec l’Aude ? 

Je suis né à Carcassonne, en 1968. À la clinique Saint-Vincent qui n’existe plus aujourd’hui. Je suis né le jour de la Saint-Vincent. Et mon deuxième prénom est Vincent. L’église Saint-Vincent est à côté. Pour finir, Vincent est le patron des vignerons. Voilà qui me relie profondément à l’Aude. Quand je suis né mes parents habitaient rue Voltaire, ils ont ensuite déménagé à La Conte, puis à Montredon.

Vous avez encore de solides attaches ici ? 

J’y ai pas mal d’amis, oui. Des amis du lycée, des amis de mes parents. Après le bac, si on voulait continuer à faire des études, on était amené à quitter Carcassonne. À mon époque, il y avait celles et ceux qui partaient faire leurs études à Toulouse et les autres à Montpellier.  Moi, j’ai fait mes études à Montpellier. Mais j’ai aussi un attachement à Toulouse qui reste très fort, parce que mes grands-parents étaient Toulousains. Je n’ai d’ailleurs jamais pu choisir entre le Peyrou et l’église Saint-Sernin. Carcassonne étant le centre de tout ça.

« Autant attaché à l’Aude qu’à Carcassonne »

Les années s’écoulant, vous avez toujours tenu à revenir à Carcassonne ?

Après le bac, on revient toutes les semaines. Puis tous les quinze jours. Puis de moins en moins souvent. Mais en vieillissant, je reviens beaucoup plus. Et je crois que je dois être au moins autant attaché à l’Aude qu’à Carcassonne.  Parce que j’y vois les paysages de mon enfance, la montagne Noire, le Cabardès, les Corbières évidemment.  Même dans mon travail, je me débrouille pour placer Carcassonne. D’une manière plus ou moins appuyée, plus ou moins subliminale, à l’image ou  en voix off. Je l’ai fait quasiment systématiquement, quand bien même, le film n’avait strictement rien à voir. 

Votre travail justement, vous réalisez actuellement un documentaire sur Zelensky, que pouvez-vous nous en dire ? 

Le film va faire deux heures. C’était, pour moi, une expérience tout à fait nouvelle. D’habitude, je suis toujours seul, comme avec Georges Frêche, ma caméra et moi, c’est tout. Là, sur le tournage, je travaillais avec Ariane Chemin, journaliste au Monde, avec un chef-opérateur, un interprète, un fixeur et un chauffeur. C’est un pays en guerre où ce n’est pas facile d’avoir des rendez-vous, d’avoir la liberté de tournage et c’est compréhensible. Je ne filme pas Zelensky comme je filme François Hollande.  J’étais donc un peu moins à l’aise dans cet exercice. À la fin, je crois qu’on va faire un beau film, même si ce n’est pas à moi de le dire.

« On parlera toujours de lui »

Vous avez terminé le tournage et êtes actuellement en cours de montage, n’y a-t-il pas une sorte de frustration de ne pas continuer à filmer alors que l’histoire continue de s’écrire ? 

C’est vrai  et c’est la première fois que la question se pose de façon aussi évidente sur un de mes films.  Mais ce film-là, c’est un portrait de Zelensky, de sa naissance jusqu’au moment où la guerre éclate. On va découvrir sa ville natale, croiser ses institutrices, ses amis d’enfance, tous les gens qui ont jalonné sa vie, de 1978 à aujourd’hui. Et on ne veut pas que le film soit directement lié à l’actualité.  Je veux qu’on puisse revoir ce film dans cinq ou dix ans. Il n’en reste pas moins qu’on a, face à nous, un diffuseur, qui voit aussi quelle est la fenêtre idéale pour le diffuser. Et il nous rappelle souvent que si on rend le film au mois de juin, peut-être qu’on ne parlera plus de Zelensky. Moi, je pense qu’on parlera toujours de lui. 

Vous racontez donc dans ce film le parcours qui a fait de Zelensky le président de l’Ukraine ?

Ce que l’on raconte, c’est la métamorphose d’un homme. Le titre du film, c’est Et Volodia devint Zelensky. Volodia, c’est le surnom de Volodymyr.  Comment ce petit juif russophone, de l’Est de l’Ukraine, d’une ville extrêmement difficile, polluée, ouvrière, minoritaire parmi les minoritaires… comment il se retrouve l’incarnation de la résistance de tout un peuple. Pour moi finalement, la fin du film c’est presque le début de la guerre. Un jour, il apparaît aux yeux du monde en treillis et à partir de là, on n’allait pas faire la chronique de la guerre depuis 2022. Ce n’est pas un film géopolitique, ni sur l’histoire de la guerre, c’est vraiment un film sur ce destin, comme j’ai pu en faire un sur Chaplin.  Et d’ailleurs, il y est pas mal question de Chaplin dans ce film. Par exemple, en 2022, j’étais à la cérémonie d’ouverture du festival de Cannes. Et tout de suite Zelensky est apparu sur l’immense écran, en duplex de Kyiv. Il a lu  le discours du Dictateur de Chaplin. On voyait que ce chef de guerre venait aussi du monde du cinéma, il a convoqué la figure de Chaplin.

Vous essayez de vous détacher de l’actualité récente et parfois oppressante ? 

S’il y a un événement tragique et, dans ce conflit, le tragique auquel on peut penser, c’est que Zelensky soit assassiné, ça peut évidemment avoir une influence sur la fin du film, mais pas vraiment sur le contenu. C’est vraiment un parti-pris des discussions que j’ai eues avec Ariane Chemin et Lisa Vapné, co-autrices du documentaire. Et cette contrainte de date “on débute à sa naissance, on termine le jour où la guerre commence”, elle est venue naturellement pendant le tournage. Quand on dit le début de la guerre, les Ukrainiens eux disent d’ailleurs “la guerre à grande échelle” parce que pour eux la guerre a commencé en 2014 avec l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass.

« 24 heures pour se rendre en Ukraine »

Racontez-nous les conditions de tournage en Ukraine, les difficultés, la rencontre avec Zelensky ? 

Pour retracer l’enfance de Zelensky, on a passé trois semaines à Kryvyï Rih. Un bassin minier du Sud-Est de l’Ukraine. C’est  assez incroyable, peut-être une des plus grandes villes européennes, que personne ne connaît, qui fait 130 km de long, deux fois l’étendue de Los Angeles. Ce ne sont que des hauts-fourneaux, avec des parties minières, un complexe totalement hétérogène. Une dureté immense où la destinée de Zelensky commence.

Quand on a mené les entretiens avec Zelensky, on a dû se soumettre deux fois à l’équivalent des passages de sécurité dans les aéroports : des scanners, un chien renifleur, il fallait laisser les portables dans des casiers éloignés… On a évidemment tous en mémoire comment le commandant Massoud a été assassiné. Donc on est entouré d’une sécurité très forte. Omniprésente. Un sacré contraste avec ce que j’ai vécu quand je filmais Frêche à l’hôtel de Région ou même Hollande à l’Élysée. 

Il faut dire que l’entretien a eu lieu fin août. Une des semaines où l’Ukraine a été le plus sévèrement bombardée. Et Zelensky la veille de la date de l’entretien vire la moitié de son gouvernement. On s’est dit “ça va être foutu”. Puis aller là-bas, c’est quelque chose aussi. Il faut 24 heures pour se rendre en Ukraine. La dernière fois, j’ai calculé qu’au retour, on a fait 10 changements entre les voitures, les bus, le passage de la frontière en Pologne à pied pendant 2 km avec tout le matos sur le dos et à 4 heures du matin. Le train de nuit et puis finalement l’avion depuis Cracovie.  C’est vraiment une expédition.

Vous travaillez sur un autre film en même temps. Vous pouvez nous en parler ? 

J’ai décidé de mettre en pause ce travail pour vraiment finir Zelensky, me concentrer là-dessus.C’est un projet où j’ai filmé une promotion d’élèves du conservatoire national d’art dramatique de Paris. J’ai commencé mes premiers repérages en 2013,  les élèves ont passé le concours d’entrée en 2014. Je les ai filmés du concours d’entrée jusqu’à leur sortie de l’école en 2017. J’ai accumulé 200 heures de rushes à peu près. Au début, c’était un projet sur trois ans, et puis en cours de tournage, je me suis dit que ce serait vraiment intéressant de laisser passer du temps et de rajouter du sable dans le sablier. Jusqu’à peu de temps, on a encore hésité entre le grand écran et le petit écran. Et France Télévisions m’a relancé. Je retrouve donc ces élèves 10 ans après leur concours d’entrée, 7 ans après leur sortie. 

Mais là, j’ai un long montage qui m’attend sur Zelensky donc je le finis, je me repose un peu et je reprends le conservatoire.

À quelle date, le film sur Zelensky pourrait être achevé ?

Je pense que le film sera fini pour le mois d’avril. Arte a vu la première partie. Je crois qu’ils sont très contents. Ils nous ont dit “Bravo ! Ne bâclez pas, prenez votre temps mais surtout… dépêchez-vous !”

Photo : de retour à Carcassonne, Yves Jeuland repasse toujours par la place Carnot. ©AG

Propos recueillis par Arnaud Gauthier

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