Pour le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) Jules Nyssen, la décarbonation est une nécessité aussi structurante que l’agriculture. Entre budget insuffisant et manque de planification énergétique à long terme, il plaide pour une approche structurée et coordonnée, rappelant le modèle de l’agriculture. Avec 1,55 Md€ sanctuarisé en urgence, mais bien loin des 10 Mds€ promis, la France avance trop lentement, selon lui, vers ses objectifs climatiques.
Vous comparez votre syndicat, le SER à la FNSEA. Pourquoi ce parallèle ?
La comparaison est intéressante. Tout comme la FNSEA défend les agriculteurs, le SER fédère près de six cents acteurs des énergies renouvelables : grands groupes, PME, producteurs indépendants, mais aussi collectivités et syndicats mixtes. Notre secteur, comme l’agriculture, est hautement régulé. Nous sommes en dialogue constant avec les pouvoirs publics pour garantir un cadre stable et clair. Le parallèle s’arrête cependant à notre poids politique : si nous avions celui de la FNSEA, peut-être avancerions-nous plus vite sur la transition énergétique (rires) !
Les incertitudes autour du budget 2025 et l’absence d’une Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) actualisée freinent-elles la décarbonation ?
Oui, et les investissements pâtissent de ce manque de vision stratégique. Bien que la France ait présenté en 2021 un plan ambitieux de 100 Mds€, dont 60 Mds€ financés par l’Union européenne, l’utilisation de ces fonds reste floue. Trop souvent, ces dotations impulsent des projets pilotes innovants, mais peinent à être traduits en solutions industrielles concrètes.
Le problème est double : d’une part, les arbitrages budgétaires récents, comme pour le Fonds chaleur ou MaPrimeRénov’, ont amoindri le soutien essentiel à des plans de grande ampleur. D’autre part, les transformations à financer — électrification des véhicules, rénovation énergétique ou transition industrielle — doivent demeurer absorbables pour les consommateurs et les entreprises sans affecter leur compétitivité.
Pour avancer, il est crucial de reconsidérer le financement de la transition énergétique, en l’isolant des budgets courants des pays européens. Cela permettrait de mieux cibler les investissements indispensables pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles et répondre à la dette écologique, sans sacrifier les outils nécessaires à cette transformation.
Avec votre syndicat, vous portez le message de la décarbonation des usages. Qu’entendez-vous par cela ?
Décarboner les usages, c’est repenser l’ensemble des processus de production et de consommation pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Au SER, nous produisons de l’énergie renouvelable, mais cela n’a de sens que si elle est utilisée dans des conditions favorables pour tous. Ce défi est une véritable transformation sociétale qui doit être accessible à tous.
Prenons l’exemple des « Zones à faibles émissions » [ZFE] : elles pénalisent parfois les ménages modestes qui ne peuvent pas changer de véhicule. Sans dispositifs d’aide adaptés, ces politiques risquent de créer des inégalités et des tensions sociales. Pour réussir, il faut un équilibre entre normes ambitieuses et mesures d’accompagnement. Il ne s’agit pas de réguler davantage, mais de réguler plus intelligemment pour encourager l’usage des énergies propres tout en restant économiquement viable.
Au fond, la régulation reflète une volonté politique et collective. Décarboner, c’est décider ensemble de bâtir un avenir soutenable au niveau local et européen. Et cela nécessite de penser à la fois au climat et à la souveraineté énergétique.
Le projet GOCO2, qui consiste à capter le CO2 issu des usines des Pays de la Loire pour l’exporter par bateau et l’enfouir sous la mer du Nord, mobilisera 1,7 Md€ d’ici à 2030. Bien qu’il suscite des controverses, notamment sur ses impacts environnementaux, peut-il servir de modèle ?
GOCO2 est un excellent exemple de captage et de stockage du CO2, mais il doit être considéré dans une perspective plus large. Si la capture du carbone est essentielle pour traiter les émissions résiduelles des industries, elle ne doit pas être un prétexte pour repousser la transition vers les énergies renouvelables. Nous devons aller plus loin en explorant des solutions circulaires, comme la réutilisation du carbone capturé pour produire des carburants synthétiques. Par exemple, en combinant le CO2 avec de l’hydrogène vert, nous pouvons créer des hydrocarbures de synthèse qui constituent une alternative aux carburants traditionnels. La véritable avancée viendra de l’intégration de ces technologies dans un processus global de transformation énergétique.
Justement, l’hydrogène est parfois présenté comme la solution miracle. Quel est votre point de vue ?
L’hydrogène est un vecteur énergétique intéressant, mais il ne faut pas le surestimer. Il est particulièrement adapté aux usages industriels, comme la sidérurgie, où il peut remplacer les gaz fossiles, ou pour produire des carburants de synthèse tels que l’essence et le kérosène, qui peuvent être utilisés dans les avions et les cargos sans nécessiter de modifications majeures des moteurs. Cependant, son utilisation en tant que carburant direct, notamment dans des moteurs à combustion, présente des rendements faibles et pose des problèmes de transport. Pour ces raisons, il est plus pertinent de le concentrer sur des applications industrielles. Ce qui est crucial, c’est de le produire à partir d’énergies renouvelables pour garantir un impact environnemental positif.
La France peut-elle atteindre ses objectifs de neutralité carbone en 2050 ?
Oui, c’est possible, mais cela nécessitera des efforts considérables, une vision à long terme et une coordination à l’échelle européenne. La clé réside dans la production d’électricité décarbonée. La France bénéficie d’un avantage majeur avec son parc nucléaire, qui assure une part importante de cette électricité tout en émettant peu de CO2. Cependant, ce parc a une durée de vie limitée, et il est indispensable de prolonger son fonctionnement, voire d’investir dans de nouveaux réacteurs pour répondre aux besoins croissants.
Cela dit, le nucléaire seul ne suffira pas. Nous devons également développer massivement les énergies renouvelables, comme l’éolien en mer. À titre d’exemple, le programme éolien offshore français pourrait correspondre à l’installation de vingt-cinq réacteurs nucléaires en termes de puissance. C’est cette combinaison entre nucléaire et renouvelable qui permettra de fournir l’électricité nécessaire pour assurer la transition énergétique, électrifier les hauts fourneaux par exemple et d’autres secteurs industriels lourds.
Enfin, atteindre la neutralité carbone demande de dépasser les cycles politiques et d’adopter une stratégie européenne coordonnée. En mutualisant nos compétences et nos infrastructures, nous pourrons créer les effets d’échelle indispensables pour réussir.
Propos recueillis par Alberto Rodriguez Pérez
Informateur judiciaire
Photo principale : Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) © Alberto Rodriguez Pérez.