Aujourd’hui connu pour ses sculptures, le Limouxin Fernand Garanto n’en oublie pas pour autant sa première vie qui n’était pas de tout repos. Et pour cause : dans les années 70, il était cascadeur. Forcément, il n’a rien oublié.
Comment êtes-vous devenu cascadeur ?
Tout à fait par hasard. Adolescent, j’étais passionné de sports mécaniques et avec l’obtention du permis de conduire j’ai voulu devenir, comme beaucoup de jeunes, pilote de courses. Pour cela, avec un copain, nous avons acheté un R8 Gordini pour faire de la compétition. Dès la première course de côte, une sortie de route a détruit notre véhicule et compromis la carrière de pilote.
Plus tard, à Salvaza, j’ai découvert les Simca Ariane d’Yvon Castan, un patron d’auto-école qui, avec elles, s’amusait à rouler sur deux roues. En sympathisant avec lui, je suis entré dans le monde du pilotage acrobatique et celui des cascadeurs.
L’été suivant l’équipe Legris se produisait à Narbonne-Plage dans un spectacle intitulé Les cascadeurs du cinéma et de la télévision. Je suis allé les voir et ils m’ont embarqué dans leur tournée. Je suis resté trois ans avec eux et ils m’ont appris ce métier de cascadeur. Désormais professionnel, j’étais en vue des réseaux commerciaux, ce qui m’a permis de booster ma carrière et de travailler dans vingt-sept pays à travers le monde.
Quelles sensations ça vous procurait ?
Des sensations extraordinaires. Aujourd’hui encore, j’ai souvenir des moments qui précèdent l’entrée sur la piste. Ce moment où nous avons passé la combinaison avec mes coéquipiers. Il règne un silence extrême, les regards sont dilatés et quand le signal de départ est donné, cette extraordinaire sensation de puissance due aux décharges d’adrénaline.
« Deux environnements différents »
Les années 70 étaient les années d’or des spectacles de cascades ?
Oui ! Ces années là, en France il s’est créé un engouement extraordinaire pour cette discipline, avec trois grosses équipes : Jean Sunny (le premier homme au monde qui a roulé avec une voiture sur deux roues), avec l’équipe Bataille et l’équipe Legris.
Aviez-vous peur ou tout était-il sous contrôle ?
Dès qu’il y a danger, il y a forcément la peur et pour contrôler cette peur il faut la transformer en peur de mal faire. Le cascadeur doit se repasser dans la tête les gestes de réussite de l’action que l’on va exécuter comme le font les pilotes d’avions acrobatiques.
Pour exemple, quand on exécute une série de tonneaux en voiture, au passage sur le tremplin, on donne un violent coup de volant pour déséquilibrer la voiture et le premier réflexe de sauvegarde c’est de contre-braquer pour remettre la voiture sur ses roues. C’est ce réflexe de survie envoyé par le cerveau que l’on apprend à neutraliser.
Travailler pour le cinéma, c’était aussi excitant que les spectacles de cascades ?
Ce sont deux environnements différents. Au cinéma, il y a un temps de préparation et l’exécution de l’action avec sa synchronisation. En spectacle, tout doit être préparé en avance et dès que ça démarre, tout doit être fait pour éviter les temps morts qui dévaloriseraient le spectacle.
« Les carrières internationales sont très usantes »
Quels hommes vous ont marqué ?
Tous les professionnels avec qui j’ai travaillé restent gravés dans mon cœur, mais ceux qui nous ont quittés restent à jamais dans ma mémoire. Pour moi, ce sont ces trois garçons. Alain Prieur, recordman du monde de saut à moto qui débuta avec nous chez Legris et que j’ai accompagné dans ses spectacles quand il s’est lancé sous son nom.
Il a transformé, à cette époque, la façon de travailler car nous avions tous étés formés à l’expérience acquise, c’est à dire à reculer chaque fois les limites. Il a lancé un nouveau concept : à quitte ou double ; l’exploit étant souvent suivi de séjours à l’hôpital. Il est mort le 4 juin 1991 en exécutant une cascade qu’il avait nommée « Risque zéro ».
Georges Novak, l’Australien avec qui j’ai travaillé dans les années 70 sur le continent américain et qui est devenu par la suite un acteur très en vue dans de très nombreux films en Australie et notamment dans les Mad Max. J’ai passé avec lui des moments fantastiques qui ont enrichi réciproquement nos carrières. Disparu en 2014, il restera dans mes souvenirs comme un homme exceptionnel.
Joe Sandouly : j’ai fait avec lui les tournées de l’équipe d’Alain Legris des années 70 et il m’a ensuite accompagné dans divers spectacles organisés en mon nom. Nous avons lié, durant toutes ces périodes, une extraordinaire amitié. Jo restera à mes yeux le symbole du courage et de la volonté.
Nous partagions en commun cette passion dévorante pour ce métier et pour le risque. La vie ne lui avait pas fait de cadeaux. A la quarantaine passée, il a perdu la vie dans un accident stupide à Toulon. Il restera, lui aussi pour toujours, gravé dans ma mémoire.
Pourquoi avoir arrêté finalement assez tôt ?
Les carrières internationales sont très usantes avec des cadences de productions infernales : parfois jusqu’à onze spectacles par semaine et comme « crash man » avec quatre à cinq reconstitutions d’accidents par spectacle, le corps s’use. J’aurais pu continuer durant encore une bonne dizaine d’années comme pilote acrobatique, mais sans les performances dans les crashs et les actions violentes, ce n’était plus la même saveur.
Si vous deviez retenir un moment précis de vos années de cascadeur, ce serait lequel ?
J’ai beau me creuser la tête, il n’y a pas de moment précis qui m’ait marque plus qu’un autre. Quelle que soit l’action, c’est toujours la même passion. Alors, je dirais les fiestas extraordinaires après les spectacles car on ne mange pas avant puisqu’il faut avoir l’estomac vide en cas d’intervention chirurgicale. Après le spectacle, on se lâche et là, je garde ces souvenirs pour moi… Je ne vous dis pas !
« La sculpture, une passion obsessionnelle »
La sculpture est votre deuxième passion ?
Effectivement, depuis une quinzaine d’années, la sculpture est devenue une passion dévorante. J’ai dessiné et peint depuis tout petit et j’ai découvert par hasard la sculpture. Faire naître de ses mains une forme qui s’embellit phase par phase, c’est une gratification extraordinaire.
Elle vous apporte quoi ?
Contrairement à une autre occupation où l’on peut gamberger en travaillant, la sculpture capte toute mon attention. Ma femme le sait très bien. Elle m’appelle plusieurs fois : « viens manger tout est froid ». Il me semble que je ne suis là que depuis peu de temps.
Je ne vois plus le temps passer. La sculpture est devenue une passion obsessionnelle, elle occupe mon esprit continuellement et même mes nuits sans sommeil, sur le plafond noir de ma chambre, je vois se découper de futures créations.
Vous y passez beaucoup de temps ?
Tous les jours, à raison de 9h à 10h, samedi et dimanche matin inclus.
Vous avez également, dit-on, une tendresse pour le Carnaval ?
Le Carnaval de Limoux pour les natifs d’ici, c’est comme la potion magique pour Obélix et ça vous contamine depuis le jeune âge. C’est une culture d’amitié, de rigolade et d’irrévérence entre les membres d’une même bande.
D’ailleurs les bandes ont une âme : les membres fondent une bande en fonction de leur caractère et de leur mentalité. Le carnaval, ça procure, avec l’aide de quelques coupes de bulles, cette déconnexion et cette détente indispensables à l’être humain pour affronter les aléas de la vie.