Déconstruction des stéréotypes de genre, parité dans l’enseignement scolaire, se donner les moyens de l’égalité hommes-femmes

access_time Publié le 10/03/2024.

Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, de l’académie de Montpellier et  chancelière des universités, est revenue sur son propre parcours. Notamment son engagement pour l’égalité hommes-femmes au sein de l’Education Nationale, dans l’orientation des élèves autant que dans les trajectoires des personnels, des enseignants et des femmes dirigeantes.

Sophie Béjean, quel a été votre parcours d’études à vous ?

Sophie Béjean : J’ai un parcours assez classique. J’ai passé mon bac à Dijon puis j’ai fait des études en sciences économiques à l’université de Bourgogne, d’ailleurs sans vraiment savoir ce que je voulais faire à cette époque-là, mais en ayant surtout de l’intérêt pour les questions sociales en économie.

Je me suis spécialisée en économie de la santé, j’ai obtenu mon doctorat, puis j’ai été recrutée comme maître de conférences à l’université de Bourgogne. C’est une université dans laquelle je me suis beaucoup investie, puisque j’en suis devenue présidente une douzaine d’années plus tard.

A votre poste actuel, quels liens conservez-vous avec le monde de la santé ?

SB : Rectrice est une fonction pour laquelle j’ai été nommée par le gouvernement, en conseil des ministres. J’ai été détachée de mon poste d’enseignement mais je reste professeure. J’ai gardé un attachement à mon équipe de recherche, à mes collègues. J’ai très peu de temps mais il m’arrive aussi de participer à des rencontres scientifiques, de faire soutenir des thèses.

Et dans ma fonction de rectrice, je suis impliquée sur différentes questions de santé publique, que ce soit avec l’ARS, pendant la période Covid, ou pour de l’éducation à la santé, de la prévention, dans le cadre de la campagne de vaccination contre le papillomavirus notamment.

Depuis 2017, vous êtes aussi présidente de l’Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Pourquoi cette association était-elle nécessaire ?

SB : C’est une association créée en 2014 et dont nous avons fêté les 10 ans le mois dernier. La présidente était alors Brigitte Plateau et nous étions sept femmes fondatrices. En tant que présidente, mon rôle est de fédérer toutes ces femmes qui ont des fonctions d’encadrement important dans l’enseignement supérieur et qui ont envie de promouvoir la place des femmes dans la recherche.

On mène des actions de formation, de mentorat, pour ouvrir la porte derrière nous, faire en sorte que des femmes plus jeunes se préparent à assumer des fonctions avec d’importantes responsabilités. C’est suivre les évolutions quant au rôle des femmes dans l’enseignement supérieur. Lors du séminaire à l’occasion de nos 10 ans, nous avons fait l’analyse de ce qui a changé depuis 10 ans.

De notre côté, c’était se rendre compte qu’on a pu accompagner près de 500 femmes, les suivre dans leur évolution professionnelle, qu’elles aient changé de poste ou gardé les mêmes fonctions, mais avec plus de confiance en elles et de croyance en leur légitimité.

Vous êtes chevalier de la Légion d’honneur depuis 2012, commandeur de l’Ordre National du mérite en 2019, commandeur de l’Ordre des Palmes académiques. Que représentent ces récompenses à vos yeux ?

SB : Ces trois récompenses sont faites sur proposition et représentent pour moi un grand honneur. Je l’ai toujours pris comme une reconnaissance du rôle que j’ai joué en équipe, car ce n’est jamais seul qu’on obtient des résultats. Les réussites se font en équipe et j’ai toujours eu à cœur de partager ces récompenses avec mes collaborateurs.

S’agissant des Palmes académiques, c’est l’Ordre qui est lié à l’enseignement, à l’éducation. Désormais, en tant que Commandeur et rectrice, j’ai moi-même la responsabilité de proposer des personnes pour qu’elles soient reconnues dans cet Ordre.

33 établissements de l’Académie de Montpellier vont être labellisés pour leur travail sur l’égalité femmes-hommes. Quelles initiatives sont récompensées ?

SB : Ce label est très récent, il est le fruit d’une des propositions que j’avais faite à Jean-Michel Blanquer sur l’égalité filles-garçons, dans les parcours d’orientation au lycée. Ce label reconnaît trois types d’engagement : au niveau de la valorisation de l’égalité dans les établissements, des actions concrètes menées et la déconstruction des stéréotypes de genre dans le parcours d’orientation des élèves.

Sur les valeurs d’égalité, il s’agit de promouvoir le respect de l’autre, de son corps, de ses choix. De comprendre les différences de chacun tout en maintenant un cadre d’inclusion. Pour les actions concrètes, c’est à la fois le travail des établissements et les initiatives des élèves qui sont valorisées.

Ces derniers sont très motivés par ces enjeux et j’ai été impressionnée de leur engagement notamment, et sans tabou, sur la question des règles et de la précarité menstruelle. Certains ont ainsi mis en place, spontanément, des distributeurs de protections hygiéniques dans leur collège ou leur lycée.

Vous avez parlé de l’engagement dans la déconstruction des stéréotypes de genre ?

SB : Oui, qui va de paire avec la garantie de la mixité dans les parcours de formation. C’est un aspect auquel je tiens énormément, pour qu’il y ait plus de filles dans les filières scientifiques, d’ingénieurs. Elles sont trop peu nombreuses actuellement. Inversement, on veut que dans les filières littéraires, artistiques, des services, de la santé, on ait des hommes, car ils sont trop peu nombreux ou de moins en moins et c’est tout aussi préoccupant.

Quels enjeux à la féminisation ou masculinisation de certaines filières ? Et quels freins actuellement ?

SB : La mixité est favorable pour des questions d’équité, mais aussi parce qu’elle est enrichissante pour tous les corps de métiers. La question des freins est un sujet complexe. Ils sont liés aux stéréotypes de genre, aux représentations sociales de certains métiers réservés aux femmes ou aux hommes.

Or, on voit que les femmes qui exercent en tant qu’ingénieure, dans les métiers du bâtiment, du numérique, etc s’y épanouissent, ont des perspectives de carrière et qu’elles ont leur place. Dans les métiers artistiques, du soin, les hommes aussi ont ces opportunités.

Comment transformer cette réalité sociale ?

SB :  Il faut lutter contre ces préjugés pour les déconstruire et on a quelques leviers d’action, qui débutent dès le plus jeune âge, dès le primaire. Il faut encourager la réussite des filles et des garçons de la même manière. Par exemple, il faut se préoccuper des différences de résultats scolaires entre filles et garçons, en maths, car il n’y a pas de gène des maths.

Les études scientifiques démontrent que le cerveau est fait de la même manière pour tous, donc la valorisation scolaire aussi doit être la même. Il faut aussi encourager les garçons quand ils prennent du plaisir dans des disciplines artistiques ou littéraires, tout autant que les filles. Au collège, cela passe par une découverte des métiers dès la 5e en dehors de ces stéréotypes. Cela continue au lycée avec des groupes de parole dédiés, des rencontres inspirantes, des ateliers…

Il y en a qui vont s’en saisir à travers l’art : la photographie, les expositions. Des projets divers, transversaux et qualitatifs. Car j’ai donné aux établissements un objectif de 30 % de chaque sexe au moins dans les formations et enseignements de spécialité du lycée, et pour l’atteindre, il faut s’en donner les moyens.

Pour vous, la notion de quotas est donc efficace dans un objectif de parité ?

SB : On ne parle pas de quotas, parce qu’il que ce sont des objectifs visés, des horizons que nous voulons atteindre. Ce n’est pas un quota parce qu’il n’y a pas de places réservées aux filles ou aux garçons. Ce sont de toute façon des filières où il n’y aura pas de problème de place car ce sont des filières qui ont du mal à recruter. Personne ne prendra la place de quelqu’un d’autre.

Ces objectifs cibles sont d’ailleurs partagés par les établissements d’enseignement supérieur, les écoles d’ingénieurs, j’y veille, accompagnée d’un certain nombre d’acteurs. Il y a tout d’abord le Conseil régional qui joue un rôle dans les parcours d’orientation. Il y a aussi des associations comme les Femmes de la Tech ou les Femmes du Numérique… Elles sont nombreuses à nous accompagner et à renforcer le lien avec les entreprises.

Y a-t-il aussi  des objectifs de représentativité des personnels de l’Education nationale ?

SB : C’est une très bonne question. Je souhaite complètement relier ces problématiques côté enseignement et côté élèves. Notre ministère est très engagé à ce sujet, son travail est notamment reconnu par le label Afnor égalité-diversité, qui découle d’un plan d’action national. Dans l’enseignement, le ministère est très féminisé. Plus de 80% des professeurs des écoles sont des femmes.

Mais il est vrai que dès qu’on monte dans les promotions dans les fonctions à responsabilités, d’encadrement, moins les femmes sont présentes. Même s’il y a un vivier important de femmes dans l’enseignement, on voit qu’elles passent leur agrégation plus tard, restent plus longtemps dans des fonctions d’adjointe, hésitent à viser des fonctions plus importantes sans avoir été longtemps principale adjointe ou cheffe d’établissement.

Cette représentativité est-elle importante aussi pour les enseignants, afin de favoriser la projection des élèves ?

SB : Oui, il y a cette question-là aussi. Les professeurs en sciences informatiques, sciences de l’ingénieur, mécanique etc sont souvent des hommes. Attirer plus d’enseignantes dans ces disciplines fait partie de nos objectifs. Et pour donner envie aux jeunes filles, il faut plus de femmes qui enseignent ces matières.

Manon Pichon

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