Républicain espagnol, résistant et déporté, le Narbonnais d’adoption Antoine Cirera, homme de convictions, a marqué l’histoire par son engagement sans faille. Le giratoire du Moulin porte désormais son nom. Explications avec son fils Daniel Cirera.
Comment est venue l’initiative de baptiser un giratoire narbonnais du nom de votre père ?
Un livre a été écrit et édité, début 2022, par Josep Calvet, historien, chercheur de l’Université de Barcelone; ce livre retrace les parcours détaillés de 18 déportés originaires du Pallars-Jussa (Catalogne) dont celui de mon père…
Par ailleurs, dans la même période, un documentaire a été diffusé sur la chaîne ARTE, intitulé « les résistants à Mauthausen » ;il s’agit de montrer que les républicains espagnols ont joué un rôle essentiel dans la mise en place d’un système d’entraide et de solidarité mais aussi dans l’organisation de la résistance dans le camp… Mon père a joué un rôle actif dans cette organisation…
Encore fallait-il que cela se sache…
L’ancien secrétaire de la section narbonnaise du PCF, Jean Pierre Maisterra, qui a côtoyé mon père dans les années 70 – 80 en tant que militants, ayant pris connaissance de ces deux événements, a été quelque peu interpellé. Avec mon aval, il a donc décidé d’écrire un courrier à l’intention du Maire de Narbonne en vue d’honorer ce Narbonnais «d’adoption». Celui-ci a répondu favorablement en envisageant la dénomination d’un lieu public au nom de mon père. La proposition, validée par une commission d’experts, a été votée à l’unanimité par le conseil municipal, en novembre 2022.
Était-ce quelque chose que votre famille attendait près de quarante ans après sa mort ?
Ma famille et moi-même n’attendions rien, de ce point de vue, même presque 40 ans après sa disparition. Rien ne serait advenu sans l’intervention de son ami et camarade Jean Pierre Maisterra.
« Il a participé à la fortification de la ligne Maginot »
Votre père était-il impliqué politiquement ?
A 16 ans, il se rapproche de la CNT (syndicat anarchiste) et à 18 ans, il devient conseiller municipal de son village. Quand il est appelé, début 1937, comme soldat de la République, il tombe dans une unité dirigée par les communistes, et là il s’engage au PSUC (parti socialiste unifié de Catalogne) lié au PCE (Parti Communiste Espagnol). Il restera. au PCE, en prenant part (clandestinement) au combat politique contre la dictature franquiste jusqu’à la mort du caudillo. A ce moment là, il adhère au PCF (1976).
Quels ont été ses faits « d’armes » contre l’occupant allemand ?
Après la « Retirada», mon père a été parqué dans les camps de concentration de St-Cyprien et du Barcarès et il s’est engagé dans les CTE (armée française). Il a participé, entre-autres, à la fortification de la ligne Maginot. Fait prisonnier à Dunkerque en juin 40, par les allemands, il a été enfermé dans un stalag en Autriche puis déporté à Mauthausen en 1941.
Justement, vous a-t-il souvent parlé de sa détention à Mauthausen ?
J’avais 30 ans quand il nous a quittés Alors, oui il m’a parlé souvent de sa détention et c’est pourquoi, je veux maintenant être un passeur de mémoire.
Les Républicains espagnols ont-ils eu un rôle essentiel dans la Résistance ?
Les Républicains espagnols, de par leur expérience pendant la guerre civile, ont eu effectivement un rôle prépondérant dans beaucoup de groupes de résistance.
« C’est un message de paix »
Avez-vous conscience que le nom de votre père a réussi à faire l’unanimité au sein du conseil municipal de Narbonne ?
Oui, j’ai conscience que le nom de mon père a réussi à faire l’unanimité au sein du conseil municipal de Narbonne. Je pense que cela est dû à la force de conviction auprès du Maire de Narbonne, de celui qui a été l’ami et le camarade de mon père : Jean Pierre Maisterra.
Quel message aurait-il aimé faire passer aux jeunes générations ?
Juste un extrait du Serment de Mauthausen : « La paix et la liberté sont la garantie du bonheur des peuples et l’édification du monde sur de nouvelles bases de justice sociale et nationale est le seul chemin pour la collaboration pacifique des États et des peuples ». Donc, c’est un message de paix, de coopération entre les peuples. Il faut tirer les leçons de l’Histoire. Par ailleurs, mon père a mené toute sa vie un combat pour l’émancipation des individus.
Passerez-vous plus souvent par ce giratoire désormais ?
Pour moi, cette dénomination de giratoire, c’est symbolique. Ce sont tous les Espagnols républicains qui sont honorés et pas seulement ceux qui ont connu l’enfer…