Auteurs audois (2/4) : Annie Coll, philosophe cultivant « l’optimisme de la volonté »

access_time Publié le 17/08/2024.

Annie Coll au Salon du livre de Narbonne le 25 mai 2024 © L'Echo du Languedoc.

Poétesse et professeur de philosophie, la Narbonnaise Annie Coll cultive un “optimisme de la volonté” qui traverse ses ouvrages. Une philosophie de l’espoir, qu’elle transmet et démocratise à travers ses engagements associatifs à Narbonne, à l’Université populaire ou à la Maison des Potes. 

Vous avez publié des ouvrages de philosophie, mais aussi de poésie. Existe-t-il une complémentarité entre philosophie et poésie ?

Je pense que ce sont deux domaines complètement différents pour la plupart des gens, puisque la philosophie se veut rationnelle, tandis que la poésie est du côté de l’imagination. Et la plupart du temps, les philosophes ont critiqué celle qu’ils ont appelée “la folle du logis”. L’imagination était trompeuse. Il y a un philosophe qui les réconcilie, c’est Heidegger, mais c’est quand même très particulier. Ce sont deux domaines différents, mais il se trouve que chez moi, il y a peut-être ces deux composantes. J’aime la logique et les concepts, mais j’aime aussi beaucoup la sensibilité. Si j’écris un livre de philosophie, je veux convaincre avec la raison. La poésie, c’est l’image, la suggestion, l’exploration de l’inconnu… C’est très différent. Peut-être que les philosophies du XXe siècle, notamment celle de Merleau-Ponty, nous réconcilient avec cette dimension de la sensibilité qui est importante.

Dans votre livre « Rêver avec les penseurs du possible« , vous vous appuyez sur des penseurs qui ont imaginé une autre société, comme Marx, Arendt, Bourdieu ou encore Morin, pour essayer de lutter contre la résignation et la fatalité. Par là, vous redonnez de l’importance à l’imaginaire dans nos sociétés pour influencer la réalité. Comment, selon vous, remplacer la peur par le rêve d’un autre monde dans l’imaginaire des gens ?

Vous avez oublié quelqu’un de très important, c’est Castoriadis. C’est vraiment lui qui met en avant, de la manière la plus explicite, le pouvoir de l’imaginaire.

Je crois que les gens, au fond de leur cœur, rêvent toujours. Je suis persuadée que le rêve est inhérent à l’être humain, mais qu’hélas, le discours ambiant, l’air du temps et les médias attisent toutes ces peurs. C’est aussi lié, hélas, à cette société uniquement fondée sur l’argent. C’est, disons, une intelligentsia, les médias etc, qui sont dans la résignation totale. Et c’est vrai que c’est quand même lié à un rêve qui s’est éteint et qui n’a pas été réalisé: celui de l’émancipation qui a porté les idées de gauche et qui hélas, a échoué. 

Et pourtant, pour prendre un événement d’actualité, c’est le Nouveau Front Populaire, qui a obtenu le plus de sièges à l’Assemblée nationale à la suite du second tour. L’espoir qui renaît, dans une période aussi sombre, qu’est-ce que ça vous inspire ?

Ça me fait un plaisir immense (rires) ! Je me suis d’ailleurs dit que mon bouquin pouvait à nouveau figurer sur la devanture des librairies. Sinon, il aurait été complètement dépassé par les événements ! Je crois que Victor Hugo disait: “L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain”. On oublie trop les progrès qui ont été faits à travers l’histoire, quand même. Ils sont absolument colossaux. Et on fait comme si c’était acquis depuis toujours alors que tout a été gagné par le combat, par la lutte.

Vous êtes bénévole à la Maison des Potes de Narbonne qui est une association d’éducation populaire et qui encourage notamment l’action collective. L’action collective, c’est quelque chose qui aide à ne pas se résigner ?

C’est absolument essentiel. D’ailleurs, non seulement je suis à la Maison des Potes, mais je suis aussi à l’Université Populaire de la Narbonnaise. Et justement, un de nos projets, c’est de sortir un peu du centre-ville et des quartiers un peu chics, et d’aller dans des quartiers défavorisés de Narbonne pour essayer de nouer un contact avec des populations qui ne savent pas ce que c’est que la philosophie, et avec lesquelles on peut débattre, discuter de problèmes de fond. Parce que je crois qu’on est tous philosophes sans le savoir. Quand je fais de l’alphabétisation à la Maison des Potes, je traite en fait souvent des sujets de philosophie mais les gens ne le savent pas. Pourtant, dès lors qu’on parle de sujets tels que: “Faut-il connaître l’histoire de son pays ?” ou “Quel est notre rapport à l’argent ?”, c’est de la philosophie.

Dans votre livre que j’ai cité un peu plus tôt, vous parlez d’espoir. Le fait d’être optimiste ou pessimiste, dépend-il de la nature de chacun ou vient-il d’un choix que l’on fait: celui d’être optimiste par exemple ? 

Moi je cultive beaucoup ce que j’appelle l’optimisme de la volonté. S’avouer vaincu, c’est se condamner à l’immobilisme. Moi ce que je vois, c’est quand même que dans notre histoire, on n’a cessé d’aller de conquête en conquête, ne serait-ce que par rapport aux droits des femmes, ça avance sans arrêt. Donc finalement, pour moi, le pessimisme est une forme de démission de la pensée. A quoi sert la philosophie si elle ne sert pas à essayer d’établir un progrès pour tous, autant au niveau collectif qu’au niveau individuel pour se sentir mieux dans sa peau, mieux dans la vie, mieux avec les autres. Pour moi, le pessimisme n’a pas de sens. Peut-être que j’ai eu la chance aussi d’avoir des parents heureux, je pense que ça peut jouer. Donc ce n’est pas par nature, mais il y a sûrement un conditionnement familial qui fait qu’on voit les choses de manière plus heureuse. Mais il n’y a pas de règles. Certaines personnes accablées par la misère arrivent quand même à dépasser tout ça. Donc c’est très difficile de trancher. Mais d’un point de vue intellectuel, je pense que c’est plus intelligent de lutter pour l’émancipation, le progrès et la justice que de dire que tout est fichu à l’avance.

Et la volonté d’être optimiste ne requiert-elle pas aussi une forme de courage, pour faire face et garder espoir ? 

Pour moi, ce n’est pas une question de courage mais plutôt une question d’énergie, de vitalité, d’aller dans le sens de la vie.

Dans votre livre En finir avec la culpabilité, vous expliquez qu’il faut déculpabiliser la souffrance psychique. Peut-on souffrir et malgré tout être optimiste? 

Ah oui, bien sûr. Justement, ce que je montre dans ce livre, c’est que d’un côté, on nous promet au niveau de la société la résignation, la fatalité, etc. Et au niveau individuel, on nous dit: ”Soyez heureux”. Il y a là une contradiction absolument incroyable.

Or, au niveau individuel, il est évident que personne n’échappera à la souffrance. De même que dans un tableau où, pour qu’il y ait de la lumière, il faut qu’il y ait de l’ombre, dans une vie, pour qu’il y ait de la joie, il faut qu’il y ait de la souffrance. Donc, éradiquer la souffrance et demander à chacun d’être en permanence heureux, il n’y a rien de plus cruel. C’est une cruauté de plus qu’on nous inflige. Ce n’est pas de la résignation, mais une prise en compte de la fragilité intrinsèque de l’individu. On est sensible, donc sensible à la joie comme à la peine. Mais pour autant, ce n’est pas parce qu’on souffre que la vie est ratée. Au contraire, c’est peut-être aussi ce qui lui donne toute sa saveur. Parce que finalement, si on n’avait pas de souffrance, on ne saurait même pas ce qu’est la joie. On serait insensible.

Q- Et lorsqu’on parle de joie et de souffrance, ce qui se passe au niveau individuel est-il indissociable de ce qui se passe au niveau de la société ?

A partir du moment où on est sensible, on est aussi sensible à ce qui se passe dans le monde. Je pense qu’on a tous été affectés récemment par le terrorisme, le Covid, la guerre en Ukraine, le conflit entre Israël et la Palestine…Tout cela nous affecte. Mais en même temps, ça ne nous empêche pas de manger, ça ne nous empêche pas de profiter du soleil, etc. Donc c’est une souffrance qui est là, en toile de fond, et qui sûrement nous obscurcit. L’ambiance est plus morose aujourd’hui qu’elle ne l’était pendant les Trente Glorieuses, la période à laquelle j’ai grandi, ce qui est peut-être une clé de mon optimisme. Mes parents étaient optimistes puisqu’on ne voyait là que des avancées sociales et matérielles. Et je trouve que ce début de XXIe siècle est très plombant pour la jeunesse. C’est aussi pour ça que j’ai voulu écrire ce livre.

Propos recueillis par Marie-Sarah Kaci

Pour trouver son dernier livre « Rêver avec les penseurs du possible » aux éditions Chronique sociale (14, 50 €), c’est ici.

Photo : Annie Coll au Salon du livre de Narbonne le 25 mai 2024 © L’Echo du Languedoc.

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