Nés de la crise des Gilets jaunes, les cahiers de doléances font leur réapparition dans l’Aude alors qu’aucune restitution nationale n’a eu lieu. Sous format papier, ils seront consultables dans les 433 mairies du département. Une première.
Voici une démarche inédite en France. Sûrement amenée à se propager. Le Département de l’Aude – grâce à un méticuleux labeur de ses archives et du Comité économique, social et environnemental local – remet en lumière les cahiers de doléances.
95 recueils avaient été complétés lors de la crise des Gilets jaunes en 2019 par plus de 2 000 Audois. Après avoir été numérisés et anonymisés, ces livrets ont été publiés en ligne voici plusieurs mois. Ils ont donné lieu à une pièce de théâtre en décembre 2024. Et désormais, ils seront également consultables en format papier dans chacune des 433 communes du département. Ils ont été regroupés par cantons. 19 cahiers de doléances que chaque citoyen pourra parcourir en mairie.
« Déni de démocratie »
« Certains parlent aujourd’hui un peu facilement de déni de démocratie. Le vrai déni de démocratie, c’est d’avoir demandé aux gens de s’exprimer pour, au final, ne rien en avoir à faire », la présidente du conseil départemental de l’Aude est plutôt directe à l’heure de présenter l’initiative. « Ne rien faire des cahiers de doléances fut une erreur des gouvernements qui se sont succédé. Il y avait de la matière, des espérances et des critiques, mais il y avait surtout un immense besoin d’être entendu, considéré », poursuit Hélène Sandragné.
Après avoir envoyé, comme demandé par les services de l’État, ces cahiers aux archives nationales pour qu’ils y soient numérisés, le même procédé a été effectué au niveau départemental. Puis ils ont été anonymisés afin qu’ils puissent être rendus publics. « Il y a une grande nécessité à considérer cette parole citoyenne, à découvrir les mots employés qui traduisent les maux des Audois », confie Valérie Dumontet, vice-présidente déléguée à la Démocratie et à la jeunesse lors d’une conférence de presse présentant la démarche.
L’action du Comité économique, social et environnemental
Ce grand chantier de publication a aussi été rendu possible par l’engagement du Comité économique, social et environnemental (Cese). L’Aude fait partie des trois seuls départements français à posséder une déclinaison départementale de cette institution de corps intermédiaire. Il a réalisé un travail de fourmi pour anonymiser et compiler l’ensemble des contributions. « La totalité des documents, des écrits se retrouve aujourd’hui dans les mairies. Il n’y a qu’un seul document que nous avons retiré car il comportait des éléments médicaux précis et on ne pouvait pas l’anonymiser totalement », explique Jacques Galantus, président du Cese.
Du silence monastique à la lecture théâtralisée
En 2019, les Françaises et Français étaient appelés à soumettre leurs revendications, à les consigner dans ces recueils. C’était une des réponses d’Emmanuel Macron au mouvement des Gilets jaunes. Le gouvernement devait d’ailleurs annoncer les mesures retenues de cet exercice le jour de l’incendie de Notre-Dame à Paris. Depuis, silence monastique sur le sujet au sommet de l’État. Pas dans l’Aude. Si ces cahiers sont désormais consultables dans chacune des 433 communes du département, ils ont également été une source d’inspiration pour une lecture théâtralisée.
Un spectacle qui a été joué une première fois début décembre 2024 devant 200 personnes. Il s’apprête à tourner dans toutes les communes qui voudront bien l’accueillir. Le président du Cese explique : « Quand on demande leur avis aux gens, c’est bien de les écouter plutôt que de faire comme s’ils n’avaient rien dit. Toute notre démarche est de dire : on vous a proposé un débat, ce débat a été mis sur pause, nous on le remet sur lecture. Avec différents outils : vous pouvez le voir sur internet, à la mairie et en lecture théâtralisée. On s’est dit qu’une oeuvre théâtrale, c’était un bon moyen de proposer aux gens de venir assister à un spectacle et éventuellement de débattre à l’issue. »
Une association créée
Cette lecture théâtralisée, intitulée Cahiers de doléances : rêves et requêtes populaires a déjà quelques dates programmées (Carcassonne, le 26 avril; Salles-sur-l’Hers, le 18 mai; Bram le 29 juillet…). Une association pour la promotion des cahiers de doléances de l’Aude a été créée pour porter ce projet dans les communes. « Parce qu’il va de soi que ce spectacle doit absolument être gratuit… mais si des gens qui assisteront ont les moyens de payer, ils pourront participer à son financement », conclut Jacques Galantus.
Candidature au comité de pilotage national
Précurseurs à l’échelon national, le Cese de l’Aude et le Département ont soumis leur candidature au comité de pilotage récemment lancé par le gouvernement sur ce sujet. L’Assemblée nationale a adopté une résolution demandant la réouverture et la « publicisation » de ces cahiers de doléances. Le texte appelle spécifiquement l’État à finaliser et financer la numérisation et l’anonymisation de chaque document. Comme une impression de déjà-vu.
Le 24 mars 2025, Hélène Sandragné, Valérie Dumontet et Jacques Galantus ont pris la plume pour écrire à François Rebsamen, ministre de l’Aménagement des territoires et de la décentralisation. Ce dernier avait mentionné la création d’un comité composé de parlementaires, d’élus locaux et de membres du Conseil économique, social et environnemental, afin de superviser une phase pilote. Le Département de l’Aude saisit l’opportunité de participer à cette réflexion nationale et de présenter son projet pionnier.
Arnaud Gauthier
Photo : Jacques Galantus, Hélène Sandragné et Valérie Dumontet expliquent la démarche. ©A.G.