Jean-Jacques Marty, président de l’association des maires ruraux, et Éric Menassi, président de l’association des maires, réagissent à l’adoption par le Sénat d’une proposition de loi visant à harmoniser les modes de scrutin aux municipales. Alors que les élections de 2026 approchent, ils s’inquiètent de la complexité accrue du rôle et du quotidien des maires.
Votée par les députés en 2022, la proposition de loi visant à harmoniser les modes de scrutin lors des élections municipales a été l’objet de vigoureux débats au Sénat où elle a été adoptée le 11 mars 2025. Le texte doit désormais passer en deuxième lecture à l’Assemblée nationale puis devant le Conseil constitutionnel. Et pourrait donc entrer en vigueur, après ce marathon législatif, pour les municipales de 2026. Parmi les changements les plus importants : l’instauration du scrutin proportionnel avec listes paritaires pour toutes les communes, y compris celles de moins de 1 000 habitants. 358 mairies sont concernées dans le département. Le président de l’association des maires de l’Aude et celui de l’association des maires ruraux réagissent.
Fini le panachage
La règle actuelle pour les communes de moins de 1 000 habitants est le scrutin plurinominal avec panachage. Un mode qui permet au citoyen électeur de barrer des noms d’une liste et d’ajouter celui d’un autre candidat. Une façon pour le citoyen de sanctionner les élus sortants. « C’est vrai que le panachage plaît à nos administrés. C’est quelque chose auquel ils tiennent. Mais ça ne reflète pas la réalité. Un candidat qui se présente, qui n’a jamais rien fait, c’est sûr que personne ne va le rayer. Au contraire, un maire qui est dans son deuxième mandat, il aura forcément fait des mécontents, parce qu’il aura refusé de mettre un terrain constructible, parce qu’il aura dit non à certaines personnes. Donc, de fait, il va être rayé », détaille Jean-Jacques Marty. Le président de l’association des maires ruraux de l’Aude voit donc plutôt d’un bon oeil l’arrivée du scrutin à liste… sur ce point.
La parité imposée
En revanche, il s’inquiète de la parité imposée « une contrainte de plus alors qu’il est déjà difficile de monter des équipes, de trouver des gens qui veulent s’investir pour la collectivité ». Et de préciser son propos : « Je ne comprends pas qu’en 2025 on parle encore de parité. Je pense bien évidemment que les femmes ont toute leur place au sein des conseils municipaux mais on n’a pas besoin de parité pour qu’elles soient avec nous. Je trouve en revanche qu’il serait plus judicieux d’imposer la parité dans les conseils communautaires et dans les agglomérations, où les femmes ne siègent que rarement au bureau parce que c’est malheureusement encore une caste d’homme. »
Éric Menassi qui préside l’Association des maires de l’Aude est tout autant partagé : « On regarde cette mesure avec beaucoup d’intérêt. Le but est louable et je pense que dans l’esprit de la loi, ça va dans le bon sens. C’était un souhait porté par l’ensemble de l’association, ne serait-ce que pour valider une équité quant au scrutin des élections municipales entre les différentes tailles de communes. Ensuite, dans l’architecture, on devrait quand même pouvoir adapter cette loi en fonction des réalités du terrain. »
Des effets pervers ?
Celui qui est également maire de Trèbes relate l’exemple d’un petit village du Doubs « où il y a sept élus municipaux avec cinq messieurs et deux dames. Tout fonctionne très bien, ils ont tous envie de se représenter, mais aux prochaines élections, il va falloir que deux hommes sur cinq cèdent la place au nom d’une parité imposée ».
Alors même que cette proposition de loi a été écrite pour « répondre à la crise de l’engagement local qui touche particulièrement les communes rurales », Jean-Jacques Marty craint les effets pervers : « Aujourd’hui, on est en train de mettre de la norme aux petites communes qui n’ont pas les reins assez solides. Comme beaucoup de mes collègues, je pense qu’à long terme, ces obligations supplémentaires imposées aux petites communes sont mises en place pour qu’on lâche. Pour qu’on se tourne vers les fusions de communes, dans un premier temps. Et sur le long terme, on finira par n’avoir plus que l’État, les Régions et les grosses intercommunalités. C’est tout. Exit les communes. »
35 à 40% des maires ne se représenteront pas
Le texte prévoit pourtant quelques assouplissements. Comme la possibilité de présenter des listes incomplètes (avec deux candidats de moins que l’effectif prévu). Le Sénat a voté « l’extension de la présomption de complétude », comprenez le conseil municipal sera réputé complet dès lors qu’il comptera 5 membres dans les communes de moins de 100 habitants, 9 membres dans celles de 100 à 499 habitants et 13 membres dans celles de 500 à 999 habitants. Un bon point pour le président de l’association des maires ruraux de l’Aude : « Ce pourquoi je me bats, c’est le nombre des élus. Je trouve anormal que pour les communes d’une centaine d’habitants, il faut qu’il y ait 11 élus. C’est astronomique, c’est lourd. »
D’autres éléments d’inquiétude
« Est-ce qu’une commune de moins de 100 habitants peut être administrée par 3 ou 4 élus au lieu des 7 actuels ?, s’interroge Éric Menassi. Sans doute. La réalité c’est que moi je vois au travers de mon expérience de président d’association des maires un engagement important, quasi viscéral des maires pour leur commune. Très honnêtement, l’ensemble des maires que je rencontre sont profondément attachés à leur mandat. Ils y voient un moyen concret de mettre en œuvre les politiques locales. Mais il y a aussi une réalité concernant une société qui change et des agressions qui se multiplient envers les élus. »
Une violence qui n’est pas neutre dans la crise des vocations pour l’engagement municipal. Éric Menassi poursuit : « Sur le département de l’Aude, même si tout le monde ne s’est pas encore déclaré, 35 à 40% de maires ne se représenteront pas. C’est un chiffre qui nous amène à nous interroger. Des maires décident de lâcher l’affaire parce que ça devient trop difficile. Et ce ne sont jamais des difficultés financières ou la complexité de la tâche. Lorsqu’un maire abandonne, c’est souvent lié aux violences que ce soit sur les réseaux sociaux ou en direct ». À un an des prochaines municipales, ce débat là aussi mérite d’être ouvert.
Photo : le quotidien du maire et ses difficultés en question. ©DR
Arnaud Gauthier