L’acteur et réalisateur, installé à Gruissan, revient sur son immense carrière dans le cinéma français et l’empreinte indélébile qu’il y a laissé. Un nom devenu un adjectif, un personnage iconoclaste dans la lignée burlesque d’un Tati ou d’un Chaplin version française. Rencontre avec « un rigolo » de 90 ans devenu une légende à l’occasion du 10e Festival du film insolite de Rennes-le-Château.
Vous avez dit qu’au début de votre carrière dans le cinéma, Alain Delon était le séducteur et que vous, vous étiez la tête à claques. Pourquoi cela ?
Parce que j’en ai pris beaucoup. J’ai pris des claques de Victor Lanoux quand je n’étais pas encore connu, mais qu’on faisait du cabaret tous les deux. Et puis j’ai ensuite enchaîné avec Depardieu qui m’en a donné des pas mal non plus avec une main qui fait 2 kilos et demi.
Vous avez créé votre propre personnage à partir de cela…
Yves Robert m’a dit un jour, c’était il y a longtemps, avant que je sois connu, il m’a dit “tu n’es pas un comédien, t’es un personnage, écris tes films toi-même” [sur le tournage de ”Alexandre le Bienheureux” en 1967]. Et j’étais pas forcément forcément axé sur des claques [rires]. D’ailleurs, c’est pas dans mes films qu’il y a des claques, c’est dans ceux de [Francis] Weber.
Justement, cette phrase du réalisateur Yves Robert, qu’a-t-elle changé pour vous et votre carrière ?
Elle m’a tellement changé qu’à partir du moment où il m’a dit ça, quand il m’a dit “fais ton cinéma toi-même”, j’ai compris, j’ai suivi son conseil. Et quand je suis rentré sur Paris, parce qu’on tournait [dans l’ouest], j’ai dit à un ami : “voilà ce qu’il m’a dit”, et ce dernier m’a dit : “achète Les Caractères de La Bruyère”. Je ne m’en souvenais plus de ce livre, c’était en classe. Mais il y a dedans le personnage du distrait, je me suis dit : “c’est un personnage qui me convient, parce qu’il est poétique, parce qu’il est drôle.”
C’est comme ça que j’ai écrit mon premier scénario avec un ami docteur, qui n’est pas du tout scénariste d’ailleurs, et un an et demi après, j’ai été voir Yves Robert en lui disant : “Je me souviens de ce que tu m’as dit, j’ai apporté “Le Distrait””. A partir de là, il m’a produit, et c’est parti.
C’est ainsi que vous êtes devenu ce personnage de “Pierre Richard”. Ça fait quoi d’être une icône ?
Je ne sais pas, je l’ai pas fait exprès, je ne m’en rends pas compte [rires].
Mais vous l’êtes malgré tout, votre nom est même devenu un adjectif dans le langage commun…
Oui, c’est vrai, il y a parfois des gens, c’est dans la banlieue à Paris, qui disent : “Fais pas ton Pierre Richard. C’est devenu un adjectif. Ça n’englobe pas que la distraction. Il y a la maladresse, il y a le mec paumé, qui n’est pas très à l’aise dans ses baskets en fait. C’est ce que j’ai été longtemps.
Vous êtes vraiment comme ça, dans la vie de tous les jours ?
Oui, oui. Je me suis un peu guéri de ça. D’ailleurs j’ai écrit “Je suis timide, mais je me soigne”; la preuve [rire].
Il y a, dans les trois premiers films que vous avez réalisés, “Le Distrait” (1970), “Les Malheurs d’Alfred” (1972) et Je sais rien, mais je dirai tout” (1973), une dimension politique qui n’a pas été vu à l’époque ? Comment l’expliquez-vous ?
Parce qu’il a fallu du temps avant que certains critiques se rendent compte que j’étais autre chose qu’un rigolo. Ils ont mis du temps, peut-être 20 ans plus tard. Les anciens critiques me voyaient comme un rigolo et les jeunes qui peut-être m’ont vu quand ils étaient enfants et qui ensuite sont devenus critiques de cinéma ou journalistes, ils ont compris un jour que je n’étais pas que ça.
Cela a commencé avec les Inrocks. Un jour que j’étais à Montréal, j’ai été très étonné de voir qu’il y avait quatre pages sur moi dans ce magazine. Quand j’ai débuté, les Inrocks n’existaient pas. Donc forcément, ce sont des jeunes qui ont écrit “Chaplin, Tati, Keaton et… Pierre Richard”. Pour la première fois, on a vu autre chose que ce qu’on voyait de moi dans les années 50, 60.
Quel regard portez-vous sur votre carrière aujourd’hui ?
Je n’ai pas un regard sur ma carrière parce que je ne m’analyse pas. En plus, je n’avais pas de tactique, pas de plan. J’ai refusé beaucoup de films parce que je n’en avais pas envie. Parce qu’en fin de compte, j’ai toujours été dirigé par le plaisir que j’ai de jouer. Après, il a pu plus changé. La preuve, le film de ce soir, c’est totalement dramatique (lire par ailleurs). Mais c’est parce que ça m’intéressait, donc c’était du plaisir. Et quand je dis plaisir, ça ne veut pas dire rigolade, mais ça veut dire le plaisir de jouer un rôle.
Je n’ai jamais fait de plan. J’ai parfois fait des erreurs, d’ailleurs, parce que justement, j’aurais pu parfois, peut-être, être plus exigeant sur certains films, mais pas beaucoup. Je n’ai jamais arrêté, finalement. Ça marche, ça ne marche pas. Je suis content. Je suis moins content. Mais j’aime tellement ce métier que le jour où il ne voudra plus de moi, je serai malheureux. Ce n’est pas encore le cas. Il y en a au moins deux [films] qui vont sortir bientôt et puis je fais le mien même chez moi, à Gruissan.
C’est “L’homme qui a vu l’ours qui a vu l’homme” ? Vous pouvez nous en dire plus à ce sujet ?
Oui c’est ça. C’est un peu chez moi aussi, le Languedoc. J’y suis depuis 40 ans. J’ai connu à Gruissan des gens drôles, curieux, originaux, intéressants. Et, je n’ai pas son talent, mais un peu comme Pagnol parlait de ces gens du côté de Marseille, je souhaite faire un film sur eux aussi.
Le film parle des Gruissanais ?
Non mais, par exemple, je ne prends que des acteurs occitans. Je ne peux pas prendre des Parisiens qui vont me parler comme ça [il imite un Parisien prenant atrocement l’accent local] en pensant qu’ils ont l’accent. Rien ne sonne plus faux qu’un Parisien qui veut faire croire qu’il a l’accent. Donc, je ne prends que des comédiens occitans, à part deux.
Quel rapport entretenez-vous avec Gruissan ? Cela fait 40 ans que vous êtes là-bas…
Je suis chez moi, carrément. Enfin, non, un Gruissanais n’acceptera jamais quelqu’un qui n’est pas de Gruissan, faut pas que je rêve [sourire]. Je suis le bienvenu, mais faut pas que je croie. D’ailleurs, mon ancien régisseur, qui était de Lézignan, ce n’est pas si loin que ça, m’a dit : “Moi c’est pire, ça fait 60 ans que je suis à Gruissan, mais je serai toujours de Lézignan pour les gens, pas de Gruissan.”
Pour revenir sur votre carrière, si c’était à refaire, y a t-il quelque chose que vous feriez différemment ?
C’est sûr. Il y a peut-être des films auxquels j’aurais dit non et puis il y a des films que j’ai regretté de ne pas avoir fait. Tous les acteurs sont comme ça. On dit non, puis après on dit “mince, j’aurais dû le faire !”
Vous avez, par exemple, refusé le rôle de Gérard Duchemin dans “L’Aile ou la cuisse” avec Louis de Funès à l’époque.
Par exemple ; je le regrette maintenant. Sur le moment, je ne l’ai pas regretté, parce que je l’ai refusé. Je ne vais pas à la fois le refuser et à la fois le regretter. Ce qu’il y a, c’est qu’après, je l’ai regretté. Je l’ai refusé parce que je n’aimais pas le rôle. Moi, si je ne m’amuse pas, je ne le fais pas. J’ai l’impression d’aller à l’usine. Donc, je ne l’ai pas fait. Puis, je me suis dit que de toute façon, j’aurais l’occasion de faire un autre film avec lui. Sauf que non. Parce qu’après, il est tombé malade.Du coup, j’ai dit merde, j’aurais dû le faire.
Vous dites souvent que votre vie a été une grande récréation.
Oui, j’ai passé ma vie en récréation.
Je rentre en classe quand j’ai fini un film et que je rentre chez moi [rire].
Vous avez récemment joué dans “Jeanne du Barry”, ”Les Vieux Fourneaux”, et serez prochainement à l’affiche de ”Fêlés” (sortie le 28 août). A 90 ans, que vous venez de fêter, vous êtes toujours aussi demandé.
Heureusement pour moi, parce que c’est ma vie. Et comme j’ai la chance, pour l’instant d’avoir la santé, j’en profite.
Propos recueillis par Cyril Durand
Photos : Pierre Richard au Festival du film insolite de Rennes-le-Château, lundi 19 août © Cyril Durand.