Après avoir fait ses armes auprès de cuisiniers emblématiques comme Christian Constant ou Guy Legay, Lionel Giraud s’est essayé à la cuisine de palace, au Ritz et au Crillon. Il y a 21 ans, c’est sur la terre qui l’a vu grandir qu’il reprend la Maison Saint Crescent, ancien oratoire du moyen âge qui fut jadis l’établissement de sa famille. Depuis, le chef y propose une cuisine créative qui met en avant tout ce que le territoire a à offrir. Un travail récompensé puisque le chef et son équipe ont, notamment, deux étoiles au Guide Michelin.
Lionel Giraud, vous êtes à la tête d’un restaurant gastronomique doublement étoilé à Narbonne, quel est votre point de vue sur l’impact des distinctions du Guide Michelin ?
L. G. : Selon moi, chaque établissement se gère de façon autonome. Le Guide Michelin représente environ 600 tables en France. Plus on gagne des étoiles, plus l’étau se resserre. Il y a 70 établissements deux étoiles et 30 trois étoiles. Il est vrai que cela crée une forme de pression, parce que quand on fait un métier d’artisan et que l’on veut bien faire les choses, cela implique un don de soi, un investissement personnel, de l’exigence, de l’abnégation et quelques sacrifices pour en arriver là. Ce n’est pas quelque chose d’insurmontable mais il faut s’y tenir.
Pour ma part, je gère deux entreprises en même temps, une partie bistrot avec la Cave à Vins qui a la distinction au BIB gourmand Michelin, ce qui est un peu l’équivalent d’une étoile. Et le Saint Crescent – La Table Lionel Giraud, qui donc est l’établissement deux étoiles. Cela me permet de jongler entre les deux concepts, c’est très intéressant.
Pourquoi cette quête constante de l’excellence ?
C’est un challenge car on m’a toujours inculqué que ça ne coûte pas plus cher de bien faire. Les défis, c’est ce que j’aime dans la cuisine, on peut faire plein de choses différentes. Cela pousse à se surpasser, à se remettre en question, à se réorganiser en permanence. C’est une rigueur quotidienne. Je ne fais pas ça pour les distinctions, je fais ça parce que je m’y implique et que je veux que le travail soit bien fait. Les distinctions, c’est la cerise sur le gâteau. Elles permettent aussi de faire rayonner une région, de faire parler de nous au niveau national voire international, mais aussi de donner des idées aux jeunes.
Vous êtes un grand défenseur du terroir, que pensez-vous des conditions de travail que les agriculteurs dénoncent actuellement ?
Je vais vous dire le fond de ma pensée. Ça fait dix ans que je sillonne l’ensemble de la région, à la recherche de ce que j’appelle « les partenaires de la terre ». Certains sont devenus des amis, d’autres sont devenus des partenaires quotidiens qui nous approvisionnent de leurs fabuleux produits, qu’ils cultivent, qu’ils élèvent ou qu’ils pêchent.
Ces gens ont été mal compris. Beaucoup ont été dans la souffrance à un moment donné, beaucoup le sont encore. Je suis allé à leur rencontre et beaucoup souffrent d’une forme de dépression. C’est désolant de savoir à quel point ces gens qui nous font du bien, qui nous permettent d’être ce que nous sommes aujourd’hui, qui nous permettent de bien manger, d’avoir une forme de souveraineté alimentaire, sont aujourd’hui les dindons de la farce et les derniers à être récompensés pour le fruit de leur travail.
J’ai également été confronté à des paysans qui me fermaient la porte en me disant qu’ils ne souhaitaient pas travailler avec moi parce que la restauration ne paye pas. Aujourd’hui c’est l’inverse, ils viennent me trouver pour essayer de travailler avec moi car ils ont vu qu’on était sérieux et surtout qu’il y avait du respect et une réelle envie de les mettre en avant.
Vous parlez d’eux à vos clients, c’est important de les mettre à l’honneur ?
Bien sûr. On met en avant leur produit, leur exploitation, leur nom, on raconte leur histoire, tous ces points sont très importants. Au sein de mon restaurant, on parle d’expérience gastronomique. L’expérience à la Maison Saint Crescent, c’est aussi de parler avec les clients des personnes qui me fournissent et de tout l’écosystème qu’il y a autour.
Quand vous discutez avec les producteurs, il y a un réel mal-être. Ils ne parviennent pas à gagner leur vie donc quand vous les valorisez, ils en sont reconnaissants. A ma petite échelle de restaurant de province, moi qui suis un enfant de la terre audoise, un enfant de l’Occitanie qui aime sa région et son terroir, je me devais de leur rendre hommage pour que le consommateur connaisse ceux qui sont à la base de tout. Les agriculteurs dépendent de nous, alors que nous devrions être dépendants d’eux.
C’est tout un territoire que vous représentez aujourd’hui. En êtes-vous fier ?
Aujourd’hui, j’emploie 42 personnes, je paie des impôts, je contribue pleinement à la vie sociale, à ma patrie. J’essaie d’être patriote de mon terroir, je le dis et le revendique. Je suis très fier de ma région et j’essaie de la mettre à l’honneur. L’Aude a énormément à montrer.
Pourquoi avoir créé le bistrot en plus du restaurant gastronomique ?
J’ai un bistrot pour mettre en place des offres qui correspondent à tout le monde. La partie gastronomique n’est pas à la portée de tous les portefeuilles, pas parce que c’est un souhait mais parce que pour arriver à faire ces réalisations, cela représente un coût. Et parfois, je serais même tenté de dire que je gagne mieux ma vie à travers le bistrot que le gastro. L’un ne va pas sans l’autre, pour moi.
C’est parce qu’on va parler de nous, qu’on va véhiculer une image de sérieux, une image de qualité, que les gens vont faire le pari de venir goûter le bistrot à côté. Le gastro, c’est peut-être pour les moments plus privilégiés, dans le cadre d’une expérience particulière.
Il y a un côté militant chez vous, notamment autour des causes environnementales…
Je ne veux pas être un donneur de leçon. Je ne suis qu’un cuisinier qui transforme la matière donc l’attachement aux produits et, plus généralement, à notre planète doit nous parler. On a mis en place un système pour réduire jusqu’à 40% de nos déchets. C’est une volonté, une éthique, une valeur ajoutée pour la planète.
Ce qui me tient à cœur également, c’est de nous fournir uniquement de produits de la région, à 100% ou presque. De produits non industrialisés, issus de petits ou moyens paysans qui mettent tout leur cœur dans leur production. On m’avait pourtant dit quand j’ai démarré que c’était infaisable…Mais quand on est bien organisé, motivé et volontaire, c’est réalisable. Il faut de la rigueur, du travail et de
l’entraînement.
Et du talent ?
Le talent, c’est le travail. Quand on a la volonté, l’engagement, quand on ne compte pas ses heures, quand on travaille et qu’on s’entraîne, on y arrive toujours.