Voici bientôt quatorze ans qu’est sorti de terre un théâtre au beau milieu des vignes à Couffoulens. Et comme le bon vin, il s’est bonifié avec le temps. C’est ce que ne manque pas de rappeler Camille El Hounihi-Dehaudt, chargée des relations publiques, qui nous parle de ce projet un peu fou. Mais que serait le théâtre sans un brin de folie ?
Comment est venue l’idée de transformer un garage à tracteur en théâtre ?
Tout a commencé dans les années 80, quand Pierre et Michèle Heydorff sont venus s’installer dans l’Aude. Elle était metteuse en scène, il était scénographe… et venait de Clermont-sur-Lauquet, près de Limoux. Après avoir travaillé partout en France, il a eu envie de revenir aux racines et ils se sont installés à Cornèze.
Il y a quinze ans de cela, ils ont eu envie de proposer des spectacles populaires et exigeants aux habitants du coin, et pour cela ils ont transformé un ancien chai en théâtre. Le propriétaire a proposé un bail emphytéotique à l’association.
Le garage à tracteur s’est transformé en cantine, et le chai en salle de spectacle. Il a fallu 2 ans de travaux intensifs pour réhabiliter le chai en théâtre, installer les machineries, la scène, les 140 fauteuils rouges… Et en 2010, l’association a pu ouvrir les portes d’un théâtre rural flambant neuf ! Tout cela s’est donc fait très rapidement.
N’était-ce pas un pari un peu fou ?
Ça l’était, c’est sûr ! Au début de l’aventure, beaucoup n’y croyaient pas. Nous étions isolés géographiquement, et de plus un travail de titan attendait Michèle et Pierre. Il y avait tellement de choses à faire : réaménager le chai, attirer des compagnies, se faire connaître sur le territoire et surtout… Que le public vienne et s’y plaise. Rien n’était gagné et il a fallu travailler d’arrache-pied.
Quels genres de spectacles peut-on voir dans ce théâtre atypique ?
Du théâtre, de la danse, du cirque et de la chanson ! On essaie de proposer de tout, de couvrir la diversité du spectacle vivant contemporain : il y a du théâtre de texte, du jeune public, des spectacles déjà reconnus (nous recevons le grand comédien David Ayala en avril), ou des créations fraîchement sorties de l’œuf… Notre prochaine date : « Quatre-vingt-treize », un regard de la Cie Provisoire sur le roman de Victor Hugo.
« Avoir un rôle de scène-tremplin »
Est-il vrai que le succès vous amène à refuser des spectacles ?
Comme beaucoup de salles de spectacle, nous recevons plusieurs dossiers chaque jour, parfois plusieurs dizaines. Nous essayons de tous les regarder, mais nous ne pouvons évidemment pas programmer tout le monde. Nous avons choisi de centrer sur les compagnies occitanes, notamment les compagnies en devenir qui cherchent à transformer l’essai. On souhaite avoir un rôle de «scène-tremplin» pour eux.
Quelle est la particularité de la scène (du plateau) ?
C’est un plateau de 100m carrés, en planches de pin maritime, avec une pente de 1% vers le public. La salle a 140 fauteuils rouges en quinconce, qui sont placés sur une pente de 10%. Le 1er rang est situé à 0,80m plus bas que le plateau. Tout cela fait que le rapport scène/salle est parfait. Le plateau est entouré d’une cage de scène de 9m de hauteur, avec des équipes à mains et de porteuses contrebalancées.
La scène et la salle sont entourées de plus de 120m de passerelles techniques qui permettent un travail rapide et efficace pour les techniciens. Comme c’est un ancien chai, le bâtiment est en partie enterré. Les vignerons avaient aménagé leur chai ainsi pour que la température y soit constante. Cette particularité nous permet de bénéficier d’une relative fraîcheur en été…et d’une super acoustique.
Avez-vous un lien particulier avec les scolaires ?
Nous travaillons avec plusieurs établissements, de la maternelle jusqu’au secondaire, de la Haute-Vallée de l’Aude jusqu’à la Montagne noire, de Lasbordes à l’Ouest jusqu’à Trèbes à l’Est. Nous organisons une à quatre représentations scolaires, en journée, pour chaque spectacle que nous accueillons. Et pour mieux embarquer les jeunes dans l’aventure, chaque venue au spectacle est précédée par une rencontre avec la médiatrice du théâtre.
A partir de l’affiche, elle les amène à imaginer le spectacle, l’espace scénique, le rapport entre les personnages… C’est l’occasion de parler du spectacle vivant, de ses métiers et de ses arts, de discuter avec les jeunes. On propose aussi de la pratique, théâtre ou danse : une activité qui apporte beaucoup aux enfants et ados.
« Les habitants ont été sensibles à notre rêve »
Chez vous, on peut également fabriquer des décors ?
Nous avons un atelier de fabrication de décors, mais il ne fonctionne pas tout le temps. A cause de la conjoncture économique, les artistes ont peu de budget pour les décors, donc l’atelier est rarement sollicité par les compagnies que nous accueillons. On s’en sert donc pour nos besoins, et notamment pour les spectacles de notre atelier amateurs, et la conception des décors que nous réalisons sur commande de compagnies artistiques.
Après treize ans, quel bilan dressez-vous de ce projet incroyable ?
Eh bien, que l’on a bien fait d’oser ! Nous avons maintenant une saison artistique qui nous permet de recevoir des compagnie reconnues ou prometteuses, des spectacles qui affichent complet, une cantine de 50 couverts qui fonctionne grâce à une super équipe de bénévoles, un public nombreux et fidèle qui parle de nous autour de lui, de plus en plus de jeunes qui franchissent notre porte…
On a réussi à mêler convivialité, création artistique exigeante et populaire, échanges entre le public, les amateurs, et les professionnels… On peut dire maintenant que notre travail a porté ses fruits.
Etes-vous la preuve vivante que le théâtre peut s’implanter n’importe où ?
Le manque de structures comme la nôtre sur ce territoire a rendu cette implantation possible. Si notre scène vit, c’est parce qu’elle est soutenue et portée par les habitants du territoire. Parce que ces habitants, quels que soient leur âge et professions, ont envie d’art, de rencontres, qu’ils ont été sensibles à notre rêve un peu farfelu… Notre scène est en effet la démonstration de cette belle dynamique. Mais il faut réussir à être à l’écoute du territoire, et avoir de la patience.
Des travaux
Depuis l’hiver 2022, des travaux ont été pour agrandir le théâtre. Un tiers de la surface déjà existante a été ajouté en créant une galerie ainsi que des loges pour les artistes. La galerie permettra de recevoir plus confortablement le public mais aussi d’accueillir des expositions, des dégustations ainsi que des premières parties musicales…
Des soutiens
Le théâtre est soutenu par l’Europe (Leader), Carcassonne Agglo, le Département et la commune de Couffoulens. « Nous avons encore besoin de soutien financier pour boucler les travaux, et nous cherchons des entreprises qui ont envie de faire du mécénat, car par nature le théâtre est une excellente scène d’exposition » rappelle-t-on du côté du Théâtre dans les vignes.