A Thézan-des-Corbières, Nathalie Dubois a créé l’association Faytes (Freedom for African Youth through Training, Education and Skills) qui vient en aide aux jeunes détenus d’une prison de Sierra Leone. Elle nous explique sa démarche solidaire.
Quelle est votre activité professionnelle et que faites-vous à Thézan-des-Corbières ?
Dans une autre vie, je fus responsable de formation professionnelle à Paris, chargée de clientèle dans une station thermale en Occitanie, entre beaucoup d’autres choses et depuis que j’ai migré sur Thézan-des-Corbières, j’interviens chez les particuliers pour de la décoration intérieure et du second œuvre.
J’ai aussi passé cinq ans à retaper la maison que j’habite désormais et je m’attaque non sans mal maintenant à la grange. Par contre, je dissocie totalement mon métier de mon investissement en Sierra Leone.
Comment en êtes-vous arrivée à créer cette association ?
En 2011, lors de Visa pour l’Image, j’ai été particulièrement touchée par le reportage d’un photojournaliste qui décrivait la situation des jeunes soudanais et sierra leonais dans les prisons pour adultes. Je l’ai contacté, nous sommes partis ensemble en 2012.
Nous avons continué à bricoler officieusement pendant des années. En 2019, après un retour de Freetown, j’ai proposé à mon entourage de créer F.A.Y.T.E.S. pour que nous soyons plus crédibles, plus officiels et mieux soutenus.
Quels sont les buts de cette association ?
«Utiliser tous les moyens légaux à disposition pour affranchir les jeunes africains mineurs en situation difficile (familiale, sortie de prison…) par l’éducation et la formation professionnelle, en lien avec leurs propres compétences ou capacités.» Nous démarrons en Sierra Leone, mais cette aide pourrait être étendue à d’autres pays d’Afrique.
« Le problème de tous est la gestion du ministère… »
La Sierra Leone n’est pas réputée pour être un pays sûr…
Non. La Sierra Leone est un pays désormais tranquille. Ils ont vécu dix ans d’horreur avec la guerre civile qui a pris fin au début 2002. La population est réputée pour être particulièrement accueillante. Je n’ai jamais été en danger ou eu un sentiment d’insécurité parmi eux. Même au moment des avant-dernières élections où j’étais présente, il fallait juste, comme partout, faire attention aux mouvements de foule et à certains lieux.
Par contre, étant donné le niveau de vie des habitants (un des pays parmi les plus pauvres de la planète et de l’Afrique) et l’énorme écart des richesses, car ils ont aussi leurs «très riches», si un jour la population devait se rebeller, ça pourrait très vite tourner au drame sanglant.
Est-ce compliqué de mener des projets avec un centre correctionnel ?
Ils me connaissent depuis plus de dix ans. Notre association les aide pour des achats ponctuels (l’an dernier on a changé tous les matelas), pour la nourriture (plus de budget alloué, chaque année entre janvier et mars, pour les trois centres correctionnels du pays !?), pour des accessoires…
Nous continuons de donner des cours et d’aider à la préparation des examens et cultivons un potager pour eux sur place pour espérer pallier le manque de repas en début d’année. (voir notre charte). Tout se passe vraiment tranquillement avec le centre. Le problème de tous est la gestion du ministère, mais là nous entrons en politique…
Y a-t-il des jeunes détenus arbitrairement ?
Leur nombre varie de douze à vingt-cinq. 60% sont jugés pour rapport sexuel consenti, mais la famille de la fille ne voyant pas cela d’un bon œil, ils sont portés au tribunal et jugés. 15% y sont pour vol de nourriture. 15% pour vol à la tire et le reste pour vagabondage. Je vous laisse juge, mais si on applique ce barème chez nous, on n’aura pas beaucoup d’adolescents dans les rues.
Comment les locaux jugent-ils vos actions ?
Depuis toujours, ils sont déjà extrêmement heureux que d’autres personnes s’intéressent à eux et à leurs institutions. Nous prenons soin de ne pas faire d’ingérence dans leur organisation. Mais les informations remontent et le ministère concerné nous connaît. Beaucoup d’ONG aident en Sierra Leone, mais très peu les jeunes en situation carcérale.
Lorsque F.A.Y.T.E.S. a proposé de démarrer un potager il y a deux ans, le Directeur a accueilli l’idée à bras ouverts et nous a concédé un bout de terrain qui a triplé depuis. A chaque voyage, on m’accueille et je peux circuler quasiment librement dans la prison pour discuter avec les gardiens et les jeunes.
« Quel est l’intérêt de condamner à tout-va ? »
Et en interne ?
Toutes les personnes en lien avec la prison, les travailleurs sociaux, même l’officier de probation (celui qui défend les jeunes au tribunal) sont en désaccord avec la justice et les sentences rendues mais les juges sont intouchables et la police extrêmement corrompue…
Tous nous nous demandons quel est l’intérêt de condamner à tout-va pour ensuite ne plus nourrir ces jeunes pendant des semaines et laisser les responsables des centres s’arracher les cheveux pour trouver comment faire. Mais là-bas, on se résigne et on bricole du mieux qu’on peut…
Du coup, le Directeur du centre de Freetown libère avant l’heure pour résoudre son problème de nourriture.
N’est-il pas compliqué de suivre les projets et les jeunes à distance ?
Contact permanent sur whatsapp avec les deux instituteurs que nous rémunérons et qui sont des anciens prisonniers (trois ans chacun pour une histoire d’amour) et aussi responsables du développement du potager. Ils sont nos deux référents principaux. Rapports réguliers des avancées et appels dès que nécessaire.
Ils ont une lourde responsabilité sur les épaules, mais ont démontré depuis maintenant quatre ans, leur capacité à gérer et à enseigner. A chaque voyage, on recadre ou on modifie ce qui ne fonctionne pas toujours très bien et on cherche ensemble d’autres solutions. Avec les libérations anticipées, c’est plus stressant, car nous intervenons en urgence pour faire un suivi de chaque jeune et opter pour la meilleure solution.
Quels sont les projets que vous espérez mener à bien ?
Du coup, notre gros projet est la création d’une maison d’accueil transitoire où tous les jeunes libérés transiteraient, feraient un bilan de santé (ce qui n’est pas du luxe vues les carences après des années de repas identique et hypoprotéiné) et seraient orientés. La préférence est toujours le retour à la famille. Parfois, ça n’est hélas pas possible car le jeune est orphelin, ses parents sont trop pauvres pour le prendre en charge, la famille n’en veut plus !
Nous essayons alors de tout faire pour que le jeune ne parte pas vivre dans la jungle de la rue. D’ici fin juillet, 3 autres seront libérés dont 2 sans ressources. Les petits logements que nous louons à l’année sont pleins. Il nous faut aussi chercher un 3ème responsable, car nos 2 instituteurs vont être vite débordés.