Dans le Minervois, les Ateliers Sauvages ont vu le jour sous l’égide de Laurent Frattale, homme de théâtre, passionné par le jeu et la mise en scène. Il a donné le goût de cet art à de nombreux habitants du canton. Il nous explique sa démarche et les projets de l’association basée à Caunes-Minervois.
Comment sont nés Les Ateliers Sauvages ?
Il y a sept ans je me lançais dans l’aventure d’une maison au cœur du village de Caunes Minervois. Beaucoup de travaux en perspective et le projet d’un espace dédié au théâtre dans l’ancien chais sous la maison… Je ne savais pas encore quelle serait la nature exacte de ce projet mais je savais ma volonté de créer une association qui aurait pour objet la question théâtrale.
Au fur et à mesure j’ai pris conscience de la nécessité de partager ma passion avec les habitants du canton à travers un lieu de pratique et non de consommation. Que le plus grand nombre de personnes possible puisse accéder par la pratique aux enjeux fondamentaux du geste théâtral. Le théâtre-école s’est imposé de lui-même à l’issue du confinement que j’avais mis à profit pour finaliser au maximum notre espace de jeu…
Pourquoi cette appellation ?
Chacun des lieux que j’ai créés l’est sous le signe des Ateliers Contemporains du grand metteur en scène Français Claude Régy… C’est un homme de théâtre qui m’a beaucoup inspiré au début de ma carrière. J’avais vingt ans quand je l’ai rencontré. C’est ce type de rencontre qui vous oriente tout au long de votre vie. C’est aussi une façon de lui rendre hommage…
Donc « Les Ateliers »… puis « Sauvages » pour évoquer quelque chose de primordial, ancestral. La création peut-elle se passer de « sauvagerie » ? Si l’on en croit les maîtres fondateurs antiques, je dirais que non. Dionysos est notre guide surtout en terre de vins et de fêtes comme l’est le Minervois…
Quel est votre parcours ?
Je suis issu de l’éducation populaire et de la pratique théâtrale à l’école des années Jack Lang, j’ai commencé à plonger dans les eaux salutaires du théâtre à l’âge de quatorze ans. Lors de ma première pièce professionnelle, j’avais dix-huit ans. A la fois lycéen en Bac A3 théâtre puis étudiant en Arts du spectacle à la Faculté de Caen, j’ai tout de suite agi au sein de plusieurs compagnies indépendantes de ma région.
Très vite les chemins de la création se sont ouverts à moi en France mais aussi en Belgique et en Suisse. Je peux dire que je suis un autodidacte, mais je me suis formé auprès de metteurs en scènes et d’acteurs important : Jean-Pierre Dupuy, Claude Régy, Oïshi Oïda (Peter Brook), Andreï Welminsky (Tadeuz Kantor), Jean-Pierre Vincent, Jacques Bonnafé etc.
Aujourd’hui j’ai quarante neuf ans et outre ma passion de la transmission je continue à mettre en scène et à jouer dans plusieurs projets en France et en Suisse notamment.
« Un pari un peu fou »
Le théâtre et la ruralité, sont deux choses qui se marient bien ?
Le rouge et le noir ne s’épousent-ils pas ? C’est un pari un peu fou certes. Ce n’est pas simple de venir s’installer sur un territoire où le théâtre est relativement absent quand on est comédien. La logique voudrait que nous restions au cœur des villes où les possibilités de travail sont plus évidentes.
Mais justement les défis riment avec un parcours artistique. Claude Régy m’avait bien fait comprendre la nécessité de remettre sans cesse l’ouvrage à l’œuvre. De savoir repartir de rien pour renouveler l’inspiration et « se dessiner soi-même dans la transparence », de réinterroger sans cesse nos capacités créatrices.
C’est ce que j’ai toujours tenté. La ruralité apporte autant à notre questionnement théâtral que notre projet lui même. C’est une affaire d’écoute… Je pense que la question des territoires est l’avenir de la création. Autant artistiquement que politiquement.
Quel a été l’accueil de la population ?
Eh bien disons que la fréquentation du théâtre à plus que doublé en un an. Nous étions une quinzaine de participants en 2022, nous sommes aujourd’hui trente… A l’échelle du village, le théâtre-école est devenu une réalité et son influence grandit de jour en jour.
La population en parle au-delà de ceux qui y participent chaque semaine. Nous attendons quelque trois cents personnes aux représentations qui auront lieu fin juin début juillet. Nous donnerons six représentations, le théâtre peut accueillir cinquante personnes par représentation…
Je suis personnellement engagé sur l’une des listes municipales afin d’apporter mon expérience en matière de politique culturelle. Ma présence à la télévision m’a également permis d’asseoir une certaine crédibilité vis à vis de la population locale.
Avez-vous le sentiment d’avoir créé des vocations ?
Vocations ? Peut-être. L’avenir le dira, mais ce qui est déjà à l’œuvre, c’est l’engouement pour la création théâtrale en elle-même… C’est l’objectif principal de cette aventure.
« Un projet d’éducation populaire »
Les débuts des Ateliers Sauvages sont à la hauteur de vos espérances?
Je ne pensais pas arriver en si peu de temps à un tel résultat. Les chiffres parlent d’eux-mêmes… Il y a une demande très forte pour l’accès à la pratique artistique sur nos territoires. Notre projet le démontre s’il en était besoin… A l’heure ou je vous parle de nombreux projets tentent d’émerger dans différentes communes du département de l’Aude.
Ateliers amateurs par-ci, maison du théâtre par-là. Implantation de compagnies professionnelles dans des villages etc. Ça souligne des changements de paradigmes. Les personnes, notamment les artistes, quittent les villes saturées pour s’installer en campagne.
Notre projet n’est que le reflet d’une tendance qui va aller en s’accentuant. Ce n’est plus une démarche marginale et de l’ordre de l’utopie. C’est l’air du temps, la pensée du local, du circuit court, de l’accessibilité, du décloisonnement…
L’an dernier, vous envisagiez la création d’une pièce de théâtre.
Qu’en a-t-il été ?
L’an dernier nous avons abordé l’œuvre de Molière. Parce que c’était le 400e anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, parce que j’ai moi-même travaillé pendant plusieurs années sur Don Juan et Tartuffe et que j’étais familiarisé avec ces œuvres.
Molière, ça raconte forcément quelque chose à chacun d’entre nous. Ne serait-ce que nos années collège… Nous avons intitulé notre pièce « Molière Molières ». Nous avons présenté des scènes cultes de l’Avare, des Fourberies de Scapin, du Tartuffe, de Don Juan entre autres.
Nous avons faits une plongée dans la dimension « féministe » des pièces de Molière. Le combat de ses personnages féminins pour l’émancipation et la libération du joug patriarcal bourgeois, du père omnipotent, etc… Nous avons joué à la bougie, comme à l’époque ce qui m’a fait dire plus tard que nous aurions pu nommer cette création : « Le jeu en vaut la chandelle »… Bref beaucoup d’émulations et d’envie. Résultat : l’effectif «des actrices et des acteurs» en herbe a plus que doublé…
Que pouvez-vous nous dire de votre projet de Théâtre Ecole ?
Nous sommes engagés aujourd’hui au Budget Participatif #2 du département de l’Aude. Nous sommes sur le point de finaliser l’outil de travail qui nécessite encore des aménagements notamment lumière, son et vidéo pour en faire un outil entièrement opérationnel.
Nous invitons quiconque qui voudrait nous soutenir à se rendre sur le site du département et à voter pour les Ateliers Sauvages… Un projet d’éducation populaire accessible qui se bat pour défendre les valeurs de partage, de mutualisation et du vivre ensemble.
Vive le Théâtre !
Le soir à la télé
Chaque soir ou presque, on peut voir Laurent Frattale sur le petit écran. Il est en effet un des comédiens de la série de France 2 « Un si grand soleil ». Il incarne un avocat solitaire, Maître Serge Levars, depuis quatre ans. « C’est une nouvelle aventure pour moi. Une nouvelle corde à mon arc d’expériences », se réjouit-il.
Passe de trois
Laurent Frattale n’est pas un novice en la matière. « J’ai créé plusieurs lieux tout au long de mes années de théâtre notamment L’Atelier Rive-Gauche et Les Ateliers Intermédiaires (dont c’est la quinzième année d’existence) à Caen (Calvados) ma ville natale. La passe de trois est donc les Ateliers Sauvages, ici en Minervois…»