Emmanuel Sap : « J’ai peu de goût pour les ogres cannibales »

access_time Publié le 04/10/2021.

Natif de Narbonne et actuellement installé à Ribaute, Emmanuel Sap se destinait naturellement à la musique. Jusqu’à ce qu’un accident ne le guide vers le dessin.

Un coup du destin qui est donc à l’origine de votre livre consacré à Maître Cornille, personnage emblématique des célèbres Lettres de mon Moulin. Et au début, il y a eu la musique…

Après les cours de sociologie à la fac de Perpignan, j’ai en effet suivi des cours de musique au conservatoire. Chose que je détestais sur le coup mais qui m’a énormément servi par la suite pour mon travail avec les musiciens et les compositeurs. Je remercie mes parents d’avoir insisté malgré mes réticences.

Est-il vrai que la passion du dessin vient d’un accident ?

La passion pour le dessin a toujours été en moi. Mes plus anciens souvenirs sont ceux de crayons de couleurs et de feutres, de papiers gribouillés. J’ai toujours pratiqué le dessin de manière ludique, dans un « devant-soi » intime et secret mais jamais dans le but de montrer mes dessins.

Plus tard, adolescent, j’ai exprimé toutes mes émotions et révoltes sur le papiers et… Tout partait à la poubelle. C’est bien plus tard, devenu adulte que je m’y suis mis sérieusement. Après un gros accident de la vie, c’est vrai. Certaines choses, surtout les épreuves, nous aident à nous construire.

La mienne m’a privé d’une grande part de mes mouvements et de mon énergie. Je pouvais donc oublier mon ancien travail dans les studios d’enregistrement. Quelque part, le monde restreint dans lequel je vivais désormais ne me laissait que le choix de dessiner sérieusement, non plus de manière récréative, mais pour essayer d’en tirer quelque chose.

« La liberté, le sentier personnel »

Comment avez-vous traversé cette période si délicate ?

Au départ j’étais effondré moralement. Dans un corps abîmé et douloureux, j’ai vécu l’enfer de Sartre et l’absurde de Camus en même temps. Ma mémoire a fait le tri depuis. Ce qui m’a aidé à me relever c’est l’amour. Exclusivement l’amour… Celui de ma mère et celui de la famille et des très proches.

Les proches sont essentiels dans les jours de crise. Parce qu’ils sont les seuls à résister. Tous les autres pactes sautent, sont oubliés ou cassés. J’ai entendu toutes les versions différentes des vestes qui se retournent.

Il y a eu un moment décisif. C’est quand j’ai décidé de ne plus vouloir corriger le monde ou les autres, mais seulement de travailler à corriger mes propres lacunes ou défauts, même les plus excusables.

On peut être dessinateur sans être passé par les Beaux Arts donc ?

Oui, on peut car au final, c’est le rendu qui compte. Et je crois que les productions personnelles, même si elles sont imparfaites, comme les miennes, peuvent garder quelque chose que le formatage industriel risque d’oublier : une âme. C’est ce qui me plaît dans les dessins d’enfants.

Mais j’ai surtout la chance d’être soutenu par mon éditeur Rupture Arts&Books, qui a cru en moi. Et il y a la liberté, le sentier personnel et particulier qui fait de nous ce que nous sommes. Dessiner sans règles c’est aussi dessiner sans la règle… Des autres, afin de trouver les siennes. C’est ce que l’on appelle le style je crois : se choisir une méthode et s’y tenir.

Quand avez-vous senti que vous aviez un don pour le dessin ?

Jamais. Même encore maintenant je doute de moi.

« Transmettre à nos enfants les sagesses »

Pourquoi les Lettres de mon Moulin ?

Le choix des Lettres de mon Moulin s’est fait assez simplement. J’ai toujours aimé le Sud et nos histoires de campagne. Je me souviens très bien de ma mère qui nous racontait la Chèvre de Mr Seguin – que je vais aussi illustrer dans la même collection – , de ces soirées tendres et captivantes pour nos cœurs d’enfants à écouter les histoires du soir.

J’ai fait un dessin sur la « transmission » et j’aime répéter que c’est le plus doux des devoirs. Transmettre à nos enfants les valeurs, les sagesses, un sens à la vie. Ce qui se passe dans le secret de la chambre familiale, ou à l’heure des repas en famille, est une pierre de notre société.

Si elle est fragile… Nous avons de superbes histoires. Un énorme passé et une tradition riche et belle. Souvent devant nous. Souvent dans le cœur et la mémoire de nos anciens. C’est pour cela que j’adore les écouter sans parler.

Quels sont les premiers retours du Secret de Maître Cornille ?

Les premiers retours sont très positifs. Les mamans adorent et sont contentes de pouvoir faire lire un vieux texte avec des dessins tout neufs. Et de sortir les petits de devant les écrans. Les enfants aussi aiment, ce qui est le plus important. Ça me rassure énormément car ce sont eux les vrai juges.

Cette histoire véhicule des valeurs…

Le maître Cornille est très contemporain dans son malheur. Le progrès le laisse sur place, il porte la honte et l’opprobre, la moquerie puis la pauvreté. De belles âmes intercèdent en sa faveur… On y voit la solidarité, l’empathie, l’intercession, la reconnaissance du pauvre bougre et la joie commune. C’est une solution d’amour et de sagesse. C’est ce que j’appelle – après ma mère – une belle histoire.

Quel regard portez-vous sur ce « bébé » comme on dit ?

Je vois les erreurs et j’ai envie de faire mieux pour le prochain. Je suis assez dur avec moi-même. J’ai fait le premier dans une grosse fatigue encore… Je me dis que comme chaque année ma santé va un tout petit peu mieux, le dessin peut suivre aussi.

« Ne pas mentir aux petits loups »

Qu’aimeriez-vous dessiner en terme de projet concret et ambitieux ?

Vaste question… Quelque chose dans la culture. J’ai du mal avec le fantastique, le merveilleux, la magie, les sorcières et les vampires, ce qui est étonnant pour un illustrateur jeunesse, je sais. Mais justement je pense qu’on peut écrire et illustrer des histoires sans avoir recours au monde magique.

J’ai peu de goût pour les ogres cannibales qui terrorisent nos enfants. Pour rien en plus, les ogres n’existent pas… Par contre la méchanceté ça existe, l’étroitesse d’esprit aussi et on peut écrire la dessus.

Mes projets à venir, même s’ils restent encore à préciser, selon les rencontres, seront sûrement axés autour de ce désir de ne pas mentir aux petits loups. Le monde est trop fou pour leur raconter des histoires de fous.

Avez-vous tiré un trait sur la musique ?

Pour le moment, je n’y pense pas. Plus dans l’industrie du disque en tout cas, j’ai encore trop de séquelles et peu de forces. Mais je peux me servir de mes préamps et de mes micros pour enregistrer des choses personnelles… Ou un vieux violoncelle et un duduk selon le coup de cœur.

Vivre à Ribaute, c’est justement un choix de vie ?

Oui. En effet. La ville, le bruit, le rythme, beaucoup de choses peuvent interférer dans le calme qui est nécessaire à ce que j’appelle la sédimentation. Les choses travaillent en nous, mûrissent. Et la paix de la campagne, plus naturelle, plus véritable, nous permet de produire des pensées plus véritables elles aussi. Plus essentielles.

Nous vivons dans un petit paradis et par expérience, je sais que le béton et le plastique sont moins reposants que la pierre et le bois. J’aime à penser, même si je n’en sais rien, que Jean de La Fontaine a écrit toute son œuvre devant un poulailler.

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